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Raymond Depardon

 

La vie moderne

Certain Regard
France / sortie le 29.10.2008


LE BONHEUR EST DANS LE PRE





"Un agriculteur, ça ne servira bientôt plus à rien."

Alors, que sont-ils devenus ? Le spectateur initié, celui qui a déjà eu la chance de rencontrer Marcel, Raymond, Paul ou Amandine par écran interposé, est impatient de les retrouver. Comme des connaissances éloignées dont on prendrait des nouvelles avec plaisir, voire avec tendresse. Et des choses, il s’en est passé, dans ces petites fermes modestes de Haute Loire, de Lozère ou d’Ardèche. Une naissance, un décès, une rencontre amoureuse, la construction d’une maison, la vente d’une partie du troupeau… la vie, et le temps qui passe. Pour vivre dans des conditions différentes de celles de la plupart des gens (un jeune couple occupe la seule maison habitée de son village, deux frères octogénaires vont garder les moutons chaque jour, etc.), les habitants de ces régions de "moyenne montagne" chères à Raymond Depardon n’en sont pas pour autant hors du monde, ni hors du temps. Le réalisateur pense même qu’ils ont un temps d’avance, car ils se suffisent à eux-mêmes et ont très peu besoin d’aide extérieure, ce qui est une forme de liberté. D’où ce titre, La vie moderne, qui claque comme une provocation.

La méthode, elle, n’a guère évolué. Fort de la relation de confiance qu’il a tissée avec ses interlocuteurs au fil des années, Raymond Depardon s’installe dans les cuisines ou les étables, et à sa manière inimitable, filme sur la durée en posant lui-même les questions. Bien sûr, il n’est pas un grand interviewer, et là n’est pas son ambition. De toute façon, les réponses lui importent moins que les mimiques, les regards, les gestes et les visages. Alors les questions qu’il pose sont presque systématiquement fermées, et les réponses à l’unisson : oui, non, ou parfois un silence. De temps en temps, un mot ou une demi-phrase. Ce qui crée parfois un effet comique indéniable, surtout quand un très vieil homme reste parfaitement immobile face caméra en ne disant rien du tout, parce qu’il n’a pas entendu les questions, ou qu’une ado se tortille sur sa chaise en jetant des coups d’œil hors champ, peut-être en quête de soutien, ou d’un moyen de s’échapper. Mais à d’autres moments, on est juste profondément touché par la sincérité pudique d’un homme comme Daniel Jean Roy qui exprime en quelques mots ses regrets et son mal être. Car le point commun entre les personnages de La vie moderne, c’est qu’ils ont tous l’air étonnés d’être là, voire intimidés. Alors ils ne jouent pas, ne font ni mines ni phrases, et se livrent avec une sincérité désarmante. Immanquablement, on a envie d’aimer chacun d’eux, même les plus abrupts.

Pour autant, Depardon ne joue pas la carte de l’angélisme. Les dissensions, le "fossé des générations", les difficultés matérielles, les espoirs déçus… il ne cache rien. Avec cette complicité discrète mais têtue qui est la sienne, il laisse la caméra tourner et capte tout ce que ses protagonistes veulent bien lui offrir. Car il s’agit bien de don, d’échange réciproque et non de voyeurisme ou de malveillance. Le rôle du réalisateur n’est pas de voler ou d’imposer, mais de mettre en lumière, voire de sublimer. C’est pourquoi l’émotion nait de chaque séquence, et donne le sentiment d’assister à quelque chose d’unique, de précieux et de fragile. Malgré la conviction qu’une menace pèse sur ce petit monde chaleureux, on n’en ressort pas nostalgique ou abattu, mais bien empli d’une énergie joyeuse et irrésistible.

MpM



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