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La nouvelle vie de monsieur O'Horten

Certain Regard
Norvège


ODD A LA JOIE





«- Il y a un mec qui fume sa pipe en plein milieu du tarmac. »

Bent Hamer mériterait les honneurs de la Compétition. Après ses passages réussis à la Quinzaine des réalisateurs, son nouveau film, présenté à Un certain regard, est, avouons-le sans hésiter, un délice. Il continue d’héroïser des « losers », c’est-à-dire les marginaux qui n’aspirent pas forcément à une autre vie, qui ne râlent pas contre leur sort ou ne rêve pas d’une vie de loisirs permanents. A partir d’un personnage a priori sinistre, il réussit l’exploit de filmer une comédie caustique. On sent la forte influence des films de Tati, Peter Sellers et surtout de Kaurismaki, où tous les petits drames peuvent provoquer de jolis moments de bonheurs fantaisistes. Il a même ce génie de créer un gag verbal à partir d’un gag visuel. Une mécanique qui s’enclenche parfaitement, et contribue une scène normale à devenir décalée. La petite remarque qui arrive à faire rire avec rien.
Odd O’Horten est un cheminot célibataire qui a effectué une vie sur des rails, et qui doit, pour une fois, à cause de l’aiguillage de la retraite, partir pour destination inconnue, avec des horaires irréguliers. Sa grande audace serait, après son dernier trajet à bord d’une locomotive, de faire son voyage de retour en avion !

Le film se divise en trois parties : la retraite, les rencontres, le réveil. La soirée où il reçoit la Locomotive d’argent pour ses bons et loyaux services est un moment absurde et drôle. Ils font un jeu inimaginable : une bande son avec un bruit de locomotive ou d’annonces de gare où il faut trouver quelle est la locomotive ou combien de ponts il y a sur telle ligne. Et ça se frite quand on apprend qu’il y en a 361, et non pas 362. Ne parlons même pas de leur « hymne » où les bras et les bouches imitent une loco. Locos locos ces cheminots, obsédés par leur métier (au point de vivre à hauteur des voies de chemin de fer).
Tout cela serait très cocasse si Odd, par maladresse, malchance (ou chance selon le point de vue), ne faisait pas des rencontres inopinées. Avec intelligence, le script enchaîne bien les situations, obligeant ainsi son personnage à revoir son planning et ses objectifs : Nordhall, Flo, Svea, Trygve, Opsahl… Ainsi il manque son dernier train, se retrouve à errer dans un aéroport, zone hostile et sur-sécurisée, ou porter des talents hauts en sortant de la piscine. Il semble perturbé, voit sa vie bousculer, cherche quel élan va le propulser en avant. Sans empathie forcée, sans cruauté cynique, Hamer traite ainsi du déclin de l’homme occidental, de la dégradation physique, de l’ennui qui gagne sur l’utilité, de cette mémoire qui s’efface, de ces disparitions sans raison. De la mort, lente ou soudaine. Sans oublier la folie : « Moi l’alcool me permet de rester sobre ». Ici, avec ou sans pluie verglaçante, personne ne tient debout et tout glisse. L’œuvre s’appuie aussi sur une musique sublime et une direction artistique cohérente et séduisante, avec des décors dénudés et des couleurs froides et chaudes.
Au final, cette fable (à moins que ce ne soit une farce) délicate, précieuse et pas ridicule, s’avère surréaliste. Un regard amusé sur un monde où la peur de son propre avenir gagne sur la peur de l’inconnu. Car de se savoir en vie, donne envie d’aller voir ailleurs si on y est. Résolument optimiste, O’Horten devrait être un objet de culte piur les curieux qui oseront faire le grand saut vers leur salle de cinéma.

vincy



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