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L'échange (The Exchange) (Changeling)

Sélection officielle - Compétition
USA






THE MISSING

«- J’ai parié sur New York – Miami ! »

En livrant une œuvre émotionnellement riche, formellement classique et cinématographiquement efficace, Clint Eastwood ne surprendra pas les cinéphiles et séduira un très large public. Jusqu’à ses pairs qui devraient oscariser Angelina Jolie (qui pleure beaucoup) pour ce rôle à statuette.
Certes, ce savoureux film ne révolutionne pas son cinéma. Cependant, en creusant encore et profondément ses thèmes, en restant obstinément dans les sillage de ses références, en explorant toujours un peu plus le perfectionnisme artistique, le réalisateur met la barre haute et ne semble pas vouloir amorcer un déclin créatif.
A partir d’une histoire vraie de la fin des années 20, il élabore une trame mélodramatique dans un contexte quasiment politique. Eastwood persévère dans son analyse les raisons de la colère et les failles du système américain (jusque dans cette longue séquence en hôpital psychiatrique qui rappelle Vol au dessus d’un nid de coucou). Il est, par ailleurs, intéressant que l’autorité policière dénoncée pour ses méthodes despotiques trouve son écho dans les sanctions du contemporain « Patriot Act »… Mais, incorrigible croyant de ce système vicié, il va extraire tous les moyens, des contre-pouvoirs, qui vont réguler ces abus liberticides, au nom de l’équilibre des institutions et de valeurs morales. Pour combattre cette police corrompue, violente, incompétente, digne des romans de Ellroy, il décrit une Amérique en mutation, une métropole en devenir (Los Angeles), avec la radio en média de masse, l’arrivée des télécoms sur tout le territoire, la religion et la justice comme seuls contre-feux à l’impunité et l’intimidation policière. Tute anomalie, tout excès, toute perversion a ses issues et ses médicaments. Œuvre qui défend la rébellion au nom du Droit, L’échange est aussi un plaidoyer en faveur de l’émancipation des femmes, commençant à être promues dans les entreprises, quand la plupart voudrait les voir revenir au foyer et s’occuper des enfants.
Dans ce monde macho qui juge les femmes émotives et illogiques, elle va devenir mère blessée, femme vulnérable, suffragette, figure emblématique, visage autour d’une cause. Jolie incarne ainsi une femme moderne, et atteinte, comme dans le Winterbottom (A Mighty Heart). Ainsi le titre initial (Changeling) prend tout son sens : les gens changent mentalement, psychologiquement, ils peuvent évoluer, mais ils ne changent pas physiquement. Comme un pays ne change pas mais peut évoluer.
Dans cette partition grandiose, aux dialogues parfois exquis, on entend quelques fausses notes : une musique trop présente (avec cet accord qui nous rappelle à chaque fois "Que reste-t-il de nos amours", presque agaçant), quelques plans trop appuyés sur des visages. Mais rien qui ne compromet l’ensemble. Le formidable scénario entrelace plusieurs histoires pour n’en faire qu’une, mariant le polar, le film noir, le mélo. Les esprits criminels et les esprits dérangés : personne ne semble apaisé. Un cauchemar infernal se dessine sous nos yeux. L’absurde qui nous enrage se mélange au rationnel et les peurs les plus impulsives se fracassent contre l’envie primaire de justice. « Les gens aiment les fins heureuses », mais celle de L’échange sera juste optimiste, ouverte, nous laissant inventer la suite. Histoire remarquablement construite, ne nous laissant jamais endormir, suggérant les horreurs avec tact, utilisant le flash-back avec parcimonie et toujours au bon moment, sachant nous stresser en quelques plans, foudroyant l’innocence en un instant, le cinéaste, en invitant plusieurs diables devant sa caméra, évite surtout de nous offrir un spectacle binaire et sans subtilité.
Entre ceux qui fuient leur responsabilité, ceux qui les assument (jusqu’au gamin qui comprend ses crimes) et ceux qui les confondent avec le pouvoir et l’autorité, il sert une morale plus humaniste que biblique.
Avec la comédie Allenienne et l’aventure Spielbergienne, chacun dans leur genre, les vétérans font régner la nostalgie d’un cinéma pas si perdu où les nuances ont encore une existance. En remettant à l’honneur des techniques traditionnelles et en privilégiant le scénario aux effets, les plans larges et stables aux montages serrés et épileptiques, les cinéastes américains confirment que leur art est encore en vie. Avec ce mot d’ordre qui sert de dernière ligne au script : l’espoir.

vincy



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