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Une famille brésilienne (Linha de Passe)

Sélection officielle - Compétition
Brésil


TERRES FAMILIERES





«Y a pas un homme dans cette maison pour déboucher ce putain d’évier !!!»

Portrait éclaté d’une famille composée et d’une mégapole tentaculaire et sans issue. Une mère, quatre fils, des demi-frères, vingt millions d’habitants. Walter Salles et Daniela Thomas réalisent une œuvre pleine de grâce, entrelaçant des histoires réelles de la jeunesse brésilienne dans le cadre d’une fiction hivernale où les destins se décident.

Mélodie urbaine, blues de la modernité, Linha de Passe montre l’image d’un Brésil rarement filmé : pas le Brésil des gangs, des bas-fonds ou des plages … Juste un peuple qui tente de survivre avec des boulots, qui essaie de briser la notion de classe ou de race. Une jeunesse brésilienne qui a changé depuis Terre lointaine ; ici point question de s’évader, il faut construire son identité. La jeunesse désoeuvrée et la jeunesse dorée cohabitent dans une abstraction géographique, les abandonnant à leur sort.

Famille disfonctionnelle dans une ville fragmentée. Les immeubles sont surprotégés. Les coursiers se faufilent entre les voitures au péril de leur vie. Les bus transportent une foule entassée, se font aussi brûlés. Des vitres de voitures sont cassées pour que l’on puisse voler un sac. Certaines églises se vident parce que d’autres croyances séduisent davantage, mais tout le monde veut être sauvé par Jésus. Et puis il y a le Dieu football, lien social, religion œcuménique…

C’est avec quelques passes que nous faisons connaissance des trois grands frères, ceux dont l’initiale porte un D, ceux dont la peau est claire. Entre solidarité et rivalité fraternelle. Il y a aussi le vilain petit canard noir, le benjamin, la peau sombre, le prénom commençant par un R. Ils ont des pères différents, une seule mère. Une mère courage, rempart de la moralité, dure, qui a perdu de sa féminité en endossant tous les rôles de l’autorité. « Je suis votre père et votre mère. »

Car les pères sont absents. Il y a bien un fils qui est déjà papa, mais il ne voit pas son fils. Pourtant ils cherchent tous une figure paternelle : un coach sportif, un pasteur ou Dieu, un conducteur de bus ou celui qui apprend. Ces jeunes gens, avec une éducation minimum, livrés à eux-mêmes, ont un cruel manque de repères : « Je sais plus où on est. » La graine de la violence est semée au sein même de leur foyer. Des tempéraments pas tempérés mais variés portés par des comédiens aussi beau que naturels, avec une innocence farouche et une dureté subtilement nuancée par leurs doutes. Mention spéciale au très jeune Kaique de Jesus Santos.

Certes ils rêvent tous d’une autre vie, quitte à la déstabiliser, la risquer. Mais ils en savent aussi le prix à payer. Ils veulent exister : « on n’est pas invisibles ! » Il n’y a pas de concession mais pas de surdramatisation non plus. Walter Salles et Daniela Thomas allument la flamme quand il le faut, rythment limage avec brio, déclenchent une émotion ou une tension sans en faire trop. Leur ville nous happe avec des plans à couper le souffle. Mais surtout, leur film et sa trame musicale, mélangent constamment une réalité âpre à un esthétisme cinématographique.

C’est ce qui nous fait craindre un dérapage vers un final crescendo, cauchemardesque, tragique, pourquoi pas bouleversant. Mais Linha de Passe évite tous les écueils et ne dévie pas de sa route, continuant à préférer le quotidien réaliste aux effets émotifs. Il préfère s’ouvrir à la vie que de conclure sur un jugement moral. Les petits incidents, les injustices, les mauvais hasards, les actes irréfléchis conduisent les garçons à envisager une existence différente, à se réinventer.

En quelques plans, avec quelques coups francs, les auteurs tirent juste et nous invitent dans leurs vies, qui nous semblent si proches alors qu’elles sont si loin. Pour eux aussi, tout est une question de but. Mais comme ils jouent tous persos et n’apprennent pas à jouer collectif, leurs vies seront plus difficiles et leurs espoirs, leur gourmandise, forcément insatisfaits. Et le Brésil continuera alors de se consoler dans le foot, idéologie utopiste autour d’une identité toujours en gestation…

vincy



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