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interview de Nuri Bilge Ceylan

 

Les trois singes (Üç Maymun)

Sélection officielle - Compétition
Turquie


SOUPÇONS





« - Comment peut-on dormir en plein jour ?
- C’est parce que je m’ennuie.
»

Nuri Bilge Ceylan revient à Istanbul. Il quitte les contemplations mélancoliques des amours défaits pour se pencher (et s’épancher) sur les mensonges et les trahisons d’individus capables du pire comme du meilleur, de la lâcheté comme du courage, de l’amour comme de la haine. Il tisse une tragédie inéluctable et assez cynique autour d’une femme, mal aimée par son mari, incomprise de son fils, en quête d’une passion qui la rajeunira, l’embellira. Fil conducteur, la femme est fatale - salope, connasse, timbrée selon les mecs -, vêtue de rouge, pouvant s’humilier devant un homme comme le séduire généreusement. Dans cet univers où le machisme est encore très présent, elle sera tour à tour giflée, bafouée, battue. Le scénario est brillant, bien écrit. La mise en scène est réfléchie, jusqu’aux sons qui révèlent tous leur importance. Un train qui passe peut cacher un râle imprévu : deux vérités se superposent ainsi. Ceylan utilise cette métropole de bord de mer qu’est Istanbul, bruyante et venteuse pour créer un univers spécifique. Le bruit brise le silence pesant des consciences lourdes de leurs mensonges. Le vent caresse les instants où tout semble apaisé… Comme d’habitude, son film se sait beau tant l’esthétisme est évident. Et Nuri Bilge Ceylan maîtrise toujours aussi bien l’art du cadre : un personnage centré, une symétrie calculée et souvent des plans de biais ou des contre-jours, puisque le mensonge dévie toute droiture et obscurcit la vérité.

Tout est si bien pensé… Ce film noir, moins poétique et plus réaliste, moins séduisant mais plus dur, abandonne le romantisme qui avait teinté ces deux précédents films pour des liaisons plus conflictuelles. Ici, les personnages se racontent des histoires, se mentent à eux-mêmes ou on masquent la vérité pour ne pas avoir à souffrir. Mentir semble facile, naturel : n’entend-on pas le patron lancé à sa secrétaire « comme si elle ne savait pas mentir ? » Ils se déresponsabilisent, se déculpabilisent. Tout s’achète : on endosse un crime à la place de quelqu’un d’autre, on paye une voiture à celui qui ne fait rien… Le désespoir se mélange à la détresse, chacun se sent abandonné, délaissé. Et chaque petit mensonge conduit à la suspicion. La tragédie est ainsi semée. Mais chez Ceylan, c’est toujours languissant. Et le film s’étire stérilement sur sa dernière demi-heure, nous laissant seuls face à de belles images. De plus, il ajoute un ingrédient inachevé : la mort antérieure du deuxième fils. Son « fantôme » ne réapparait que dans les moments de profonde tristesse ou de grande angoisse. Mais son intrusion reste énigmatique. Le fils vivant lui semble atteint d’une maladie psychosomatique dont on ne sait pas grand-chose mais qui occupe trois scènes… Bref, Les trois singes s’avère parfois flou et brumeux, se contentant, pour l’épilogue, d’une grosse averse pour laver tous ces péchés. Durant la dernière demi-heure, le cinéaste fait des contorsions entre illusions et révélations qui n’apportent plus grand-chose à ce que l’on sait déjà… Ce piétinement désenvoûte le spectateur, qui attend alors un dénouement salvateur, qui n’arrivera pas.

L’amertume conquiert le mystère et le film déprime définitivement dans une sorte d’atonie où la famille, saccagée, devra recoller les morceaux. Mais peut-on réparer ces / ses erreurs ? Peut-on survivre en coexistant avec des étrangers ? Peut-on laisser sa sonnerie de téléphone, une bluette sur la quête d’un amour absolu, révéler l’ampleur de son chagrin ? A chaque film, Ceylan agrandit la distance entre le spectateur et les personnages, éloigne ses personnages les uns des autres, et livre une œuvre sur la fracture des êtres dans un monde qui perd sa chaleur et son humanité.

vincy



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