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Le voyage du ballon rouge

Certain Regard
France


PARIS JE T'AIME





"Tu sais, les grands, ils sont parfois un peu compliqués… »

La tendance semble au changement d’air chez les grands cinéastes asiatiques. Après Wong Kar-Wai aux Etats-Unis, voici Hou Hsiao-Hsien à Paris, invité par Serge Lemoine, le président du Musée d’Orsay, à participer à la série créée pour en célébrer le vingtième anniversaire. Tout comme il avait donné sa vision du Japon moderne dans Café lumière, un hommage à Ozu, le réalisateur taïwanais s’attaque donc à la capitale française par le biais d’Albert Lamorisse et de son film Le ballon rouge (1956), dont il s’inspire sans en réaliser à proprement dit un remake.

Pas dépaysé pour deux sous, Hou Hsiao-Hsien appréhende la capitale française avec intuition et justesse, la filmant dans ce qu’elle a de plus quotidien et banal : les rues grouillantes de monde, la circulation, le métro, les commerces… On est loin des clichés sur les quais de Seine ou la Tour Eiffel… sans que les hauts lieux de la ville soient pour autant négligés. Malin, le cinéaste utilise le ballon rouge (ressuscité par l’étudiante chinoise qui s’occupe du jeune héros à l’occasion d’un court métrage) pour montrer en quelques plans aériens des images fugitives de Notre-Dame et du Sacré-Cœur.

Dans ce Paris bien concret, on s’attache au jeune Simon et à sa mère (Suzanne), ainsi qu’à la famille de substitution qui gravite dans leur sillage. Il y a bien sûr Song, la baby-sitter, mais aussi Louise, la demi-sœur qui vit à Bruxelles, Marc, le voisin du dessous, Anna, la prof de piano… Le père, lui, est absent, parti écrire un roman qu’il ne finira jamais, on le sent bien. L’ambiance, alors, passe de la douceur aux cris, de la lassitude à la joie. On parle beaucoup dans cette famille, bien plus que d’ordinaire chez Hou Hsiao-Hsien. On s’agite plus, aussi, et la caméra suit le mouvement, délaissant ces longs et sublimes plans fixes qu’affectionne le réalisateur.

Dans le mouvement, c’est-à-dire dans le cours de la vie, c’est exactement là où le maître taïwanais a tenté de placer son film. Ce qu’il montre, ce sont de micro-événements, une conversation sans intérêt avec des déménageurs, le goûter d’un enfant, une soirée crêpes improvisée… Rien que du minuscule qui nous en dit d’avantage sur les êtres que s’ils étaient confrontés à des drames ou des obstacles trop lourds pour eux. Hou Hsiao-Hsien ne montrant jamais les émotions à l’état brut, c’est par ce seul biais du quotidien que l’on peut saisir le non-dit et les sentiments. Les éclats de colère de Suzanne racontent son mal-être, le silence de Song traduit sa réaction de repli face à une réalité française qui la surprend, les rituels de Simon trahissent son besoin d’équilibre, etc.

Très français, Le voyage du ballon rouge ne peut toutefois s’empêcher de s’offrir des accents asiatiques : par le biais de Song, fil conducteur ténu du récit, mais également par la profession de Suzanne, qui est créatrice et actrice de théâtre de marionnettes. Elle met en scène une légende particulièrement précieuse aux yeux du réalisateur, celle de Zhang Yu, un étudiant qui tente de faire bouillir l’océan pour retrouver sa fiancée. Si Suzanne n’est pas sûre, elle, de vouloir retrouver son mari, elle tient néanmoins à ne pas rester passive. Toute sa volonté d’avancer est contenue dans ce spectacle dont on aperçoit de nombreux extraits, comme si elle avait d’abord besoin de répéter avant de se lancer pour de bon. Le voyage du ballon, finalement, ne mène pas les personnages très loin, mais transforme notablement leur existence.

MpM



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