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Le bannissement (Izgnanie)

Sélection officielle - Compétition
Russie


CRIMES ET GENS QUI MENTENT





«- Faire trois filles, c’est comme se rajouter trois épouses. Ca ne vous fait rien que je me saoule ?»

Après deux heures et demi de très beau cinéma, Andrey Zvyagintsev ne nous aura quand même pas convaincus sur l’ambition de son projet. Si Le Retour était doté d’une force intérieure et d’une énergie revitalisante, Le bannissement, film endeuillé, est une tragédie trop lente et trop symboliste pour nous emporter dans sa folie.
Le film, pourtant, n’est pas avare en beauté. Les plans sont sublimes, la musique somptueuse, les comédiens magnifiques. Certains enchaînements sont techniquement prodigieux. Il y a une esthétique époustouflante où chaque cadre est réfléchit. Presque trop. C’est si soigné, si étudié, de l’écriture des séquences (où rien n’est laissé au hasard) au jeu des comédiens (minimalistes) que le spectateur semble exclus.
Le film mérite qu’on s’y attarde, au-delà de sa beauté formelle. Zvyagintsev prolonge avec cette histoire son thème de prédilection, la famille. Hélas, il ne sait pas comment raconter toutes ses trames : les rapports à l’enfance, les enfants eux-mêmes, les amis… Il s’en sort difficilement avec cette fraternité un peu brutale et bancale. Il faut le couple pour trouver une colonne vertébrale à ce récit fragmenté. Le bannissement c’est une succession de mensonges et d’erreurs qui conduisent à l’horreur. Parce que, justement, il ne peut y avoir de justice, de justesse, sans honnêteté, sincérité. Mais le film russe veut surtout faire l’éloge de l’amour, sentiment insoumis, qui « supporte tout, pardonne tout, recouvre tout. » Par ce manque d’amour (de soi, des autres), la tragédie est inévitable, tout comme le mal être. La faille de ce Bannissement est de ne pas nous donner assez de clefs pour entrer dans cette spirale infernale. Si l’intelligence de la caméra nous fait comprendre les dévastations humaines plutôt que leurs causes, les réactions plutôt que les actes – on filme l’attente, pas l’avortement – le scénario n’a jamais ce talent de nous faire saisir les non dits, de nous faire atteindre le subconscient du personnage.
Il faudra attendre la dernière demi-heure pour avoir un début d’explication. Film démembré, où le spectateur apprend les informations simultanément à son héros, Alex, la narration déconstruite nous laisse perplexe et même confus, malgré toutes les révélations, saupoudrées. Le rythme s’accélère, tout s’éclaircit, mais c’est insuffisant. Cela arrive trop tard, et le propos philosophique s’avère trop obscur. La séduction des images, du coup, a ses limites. En resserrant son arbre généalogique et en se concentrant davantage sur le psychologisme, Andrey Zvyagintsev n’aurait pas eu besoin de nous égarer dans son naturalisme et cette vision un peu simpliste des hommes et des femmes. Film assez primaire, atemporel aussi, abstrait parfois, il se veut un miroir moral sur une société où la parole disparaît. Où l’écoute, par conséquent, n’a plus sa place. Où finalement, le seul moment juste et vrai est cette femme confessant ses pensées intimes à un homme. Un spleen qui s’étire trop longuement pour nous faire ressentir même faiblement le fracas existentiel de celle qui aura été la cause de tous les malheurs. A défaut d’être banni, nous ne nous sentons pas inclus.

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