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Dal kom han in-saeng (A Bittersweet Life)

Sélection officielle - Hors compétition
Corée du Sud / sortie le 10.05.06


SYMPATHY FOR MR VENGEANCE





"Avec Kim, ce n'est pas suffisant de lui casser le poignet"

Douce amère, la vie ? Dès le titre, l'ironie largement mordante de Kim Jee-Woon affleure. Car l'existence de son personnage principal, Sunwoo, est en réalité bien plus amère que douce. Malgré son costume élégant et son apparente réussite sociale, le jeune homme souffre d'une tristesse insondable et d'une solitude morne. Dans son appartement impersonnel, où personne ne l'attend jamais, il hante les lieux à la manière d'un étranger. Le soir, étendu sur le canapé, il n'a d'autre occupation que de jouer avec l'interrupteur de la lampe. Jour. Nuit. Passer de la lumière à l'ombre en un seul mouvement, prémonition tragique de ce qui l'attend.

Une petite erreur d'appréciation précipite en effet Sunwoo dans une chute vertigineuse, transformant sa vie en un véritable cauchemar. La violence inouïe qui s'abat sur lui est d'autant plus cruelle qu'elle vient de son propre camp. Ce châtiment démesuré lui rappelle brutalement que sa vie n'a pas plus de prix aux yeux des autres que celle d'un chien que l'on corrige lorsqu'il désobéit et que l'on abat s'il persiste. Kim Jee-Woon filme ces séquences avec une complaisance et une beauté froide non dénuées de sadisme, qui accentuent la dimension tragique de l'intrigue. Même les éléments naturels se dressent contre le malheureux héros. Mais le processus se révèle à double sens. Car en niant l'humanité de Sunwoo, le chef Kang provoque une contre-attaque fulgurante et sans merci. L'ancien employé affable et polissé se transforme en un tueur efficace et précis qu'absolument rien, sinon la mort, ne peut arrêter dans sa croisade sanglante. La scène de la renaissance, où Sunwoo, apparemment vaincu, retourne la situation à son avantage, marque un tournant majeur dans le film. Il ne s'agit plus de gangs s'entretuant pour des intérêts personnels mais d'un homme prêt à tout pour recouvrir un semblant d'humanité. Or, si une telle quête passe nécessairement par une violence purificatrice, elle ne peut avoir que la mort comme issue.

Jubilation
Kim Jee-Won se place alors dans le schéma classique de l'homme seul contre tous qui, n'ayant rien à perdre, voit ses facultés de combat décuplées, ce qui donne lieu à de magnifiques scènes d'action chorégraphiées comme des ballets funèbres. Ces parenthèses flamboyantes n'épargnent pas grand chose au spectateur, et les âmes sensibles ont intérêt à détourner les yeux. Mais pour les autres, quelle jubilation ! Le réalisateur maîtrise si bien les ruptures de rythme que les passages du calme à la violence se font dans un même mouvement, avec une fluidité parfaite qui prend systématiquement au dépourvu. Loin de s'échauffer, Sunwoo reste d'une froideur glaçante, impassible machine à tuer dont seul le regard trahit la sauvagerie intérieure.

La grande force de Kim Jee-Won est de rendre cette extrême violence visuellement acceptable et moralement bonne, voire jouissive. On se sent en effet soulagé de voir Sunwoo mettre en oeuvre une vengeance à la hauteur du préjudice subi, et l'on se délecte des coups qu'il assène à ses ennemis. Largement pervers, le réalisateur rend son spectateur complice de ce déchaînement de mort et de violence, réveillant la part d'animalité en chacun. Toutefois, cette identification ne fonctionne sans doute aussi adroitement que parce qu'il est capable, dans le même temps, d'alléger la noirceur du propos par l'élégance de sa mise en scène et à grands renforts d'humour noir.

L'esthétisme crépusculaire des scènes d'action fait en effet oublier la réalité de ce qu'elles montrent. Cette atmosphère très nocturne offre des camaïeux de teintes sombres où éclatent soudainement de rares touches de couleurs tandis que les éclairages artificiels créent des clairs-obscurs classieux qui permettent une composition très graphique de chaque plan. On voit ainsi Sunwoo vêtu d'une chemise blanche mouchetée de taches de sang, à genoux devant des hommes tout en noir. La pluie qui tombe comme un rideau accentue la verticalité de l'image, à peine éclairée par les faisceaux de phares des voitures. Plus tard, dans l'hôtel où a lieu l'assaut final, tout est stylisé à l'extrême, les couleurs se heurtant violemment entre elles dans des pièces froides et anonymes. Le long couloir immaculé dans lequel le héros avance à la recherche de ses ennemis semble un sas entre deux mondes bien distincts, où les notions de bien et de mal n'ont pas le même sens.

Ange exterminateur
Mais comme pour s'empêcher de sombrer dans l'emphase, ou le trop explicitement symbolique, Kim Jee-Woon contrebalance la brutalité de son intrigue avec un humour noir discret, toujours à la limite du mauvais goût, qui élève le film vers un second degré salvateur. Les détails absurdes ou caustiques qui parsèment l'histoire lui confèrent une légèreté un peu surréaliste, comme pour remettre les choses en perspective : tout cela n'est pas très sérieux. Il y a notamment une scène étonnante, d'une ironie mordante, où l'on voit le héros pendu au plafond, dégoulinant de sang. A ses pieds, une femme de ménage imperturbable passe la serpillière sur les flaques écarlates. C'est sans doute aussi pourquoi le personnage de Sunwoo penche toujours un peu vers le ridicule, voire le pathétique. Si l'on y réfléchit bien, il perd tout pour l'amour d'une fille qui ne se préoccupe pas de lui et qu'il est parfaitement incapable de séduire. Même sa vengeance n'est pas exempte de maladresses : il se fait poignarder par excès de confiance, traite avec des trafiquants bavards et incapables et au final ne parvient enfin à se faire respecter que lorsqu'il massacre tout le monde.

Lee Byung-Hun, acteur découvert notamment chez Park Chan-Wook, est impeccable dans ce rôle ambigu de looser magnifique. Plus le film avance, plus il porte le poids du monde sur ses épaules et plus il est beau, d'une beauté douloureuse et déchirante qui l'érige instantanément en ange exterminateur. Au-delà des différents ingrédients savamment employés par Kim Jee-Woon, c'est sa grâce de félin en détresse qui permet à Bittersweet life de concourir pour le prix du meilleur thriller de l'année.

MpM



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