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Where the Truth Lies (La vérité nue)

Sélection officielle - Compétition
Canada / sortie le 21.12.05


ELLE EST CONFIDENTIELLE





"- Comment une institutrice peut se payer un voyage en Première Classe?"

Le virage avait été amorcé avec Le Voyage de Félicia, confirmé par Ararat quelques années plus tard. Atom Egoyan nous livre un cinéma plus généreux, plus accessible. Where the Truth Lies est même, sans aucun doute, son premier film grand public. Dans le même temps, il faudrait ajouter : sans s'être renié. Car ce cluedo investigateur, marque de fabrique du cinéaste qui n'aime rient tant qu'explorer le passé avec le regard du présent, est un puzzle narratif comme il les aime. Cependant, grâce à un jeu subtil de voix off, de narrateurs et un scénario habile permettant de ne rien deviner à l'avance, ce polar plein de suspens, entre film noir et étude comportementale, ne perd jamais le spectateur. Mieux que cela, il nous réjouit de bout en bout, nous faisant prendre un plaisir inattendu...
Qui a tué Maureen? Egoyan pourrait résoudre ce crime comme n'importe quel Columbo. Ne vous leurrez pas. Ce n'est qu'un prétexte pour nous promener dans les méandres de personnages à plusieurs facettes. La gloire, le fric sous tend toute l'oeuvre. La célébrité n'est en fait que le renoncement. Contrairement à Don McKellar (qui apparaît ici en éditeur) et son Childstar, il n'en fait qu'un décorum d'apparat. Derrière le lustre, la luxure. Au-delà du luxe, l'ascension sociale, par tous les moyens. La médiocrité est partie prenante. Car ces âmes en apparence bonnes, il y a des êtres humains profondément ... humains, c'est à dire lâches, refoulés, cruels, méchants. Héros dans le petit écran, violents et baiseurs en coulisses. Egoyan pose un regard clinique sur l'hypocrisie américaine, qui sert à merveille son propos : le mensonge versus la vérité. Déterré la vérité n'est pas simple. Mais l'assumer l'est encore moins. Le cinéaste recolle les morceaux et offre une vision étonnante d'une histoire finalement simple... sans beaux lendemains.
L'épilogue, par exemple, ne protège pas la personne que l'on croit et nous demande de pardonner à celui que l'on croyait suspect. Final a priori moral. Excepté que le pardon a été requis 15 ans plus tôt... comme par anticipation. Dans ce jeu sur le temps, le cinéaste canadien est passé maître, entrelaçant avec une facilité confondante les histoires et les époques. Il y a vivre un moment, celui qu'on devine à travers les comédiens, les dialogues. Il y a voir, celui qu'on mate, sales voyeurs que nous sommes. Et il y a filmer ce moment, nous le rendant irréel et mémorable. Le cinéaste nous manipule en superposant les trois niveaux et en nous incitant à croire aux hasards. Le scénario nous bluffe, tout en nous faisant vivre un vrai moment de cinéma. Il faut ajouter que notre jubilation provient aussi d'une musique grandiose, d'une mise en scène magnifique et de comédiens parfaits. Si Bacon et Lohman sont habitués aux éloges, Firth mérite nos félicitations pour avoir brillamment incarné un homme a priori doux, philosophe, solitaire, et doté de forces obscures... Lui et Bacon forment "une sorte de couple. Le gentleman et la garce." Cette garce, bacon, alias Lanny qui est "un grand amant" et qui a "le plus joli petit cul du monde." Jusqu'au moment où la fusion amoureuse passe les bornes... Car si les mensonges peuplent les dialogues, si les manigances créent des rebondissements, les regards ne trompent jamais. Et tous convergent vers un seul homme, interprété par Bacon. Son ambiguïté soutient le film sur tout le long. "Jouer les mecs sympas c'est du boulot quand on ne l'est pas." Une tension nerveuse à peine adoucie par la photo chic et glamour, elle-même trompeuse finalement. Car tout est fait pour nous perdre : le nombre de récitants et narrateurs, les indices qui manquaient, les personnalités qui se cachaient derrière tout ce maquillage.
En plaçant le film au début des années 70, Egoyan expose un changement d'époque qui a mis fin au secret, au mystère, au profit du sensationnalisme, de l'argent et de l'égocentrisme. Les racines du mal qui ronge nos sociétés actuelles. Mais il va aussi plus loin. Car lorsque la vérité éclate, elle est souvent vaine, devenant une arme contre celui qui avoue. Avec un réel cynisme, le film vient titiller le subconscient de l'héroïne, en la transformant en proie potentielle de ces hommes qui feront tout pour oublier l'origine de leur déchéance. En réveillant les morts, elle s'aventure dans un pays qui n'a rien de celui des merveilles que traverse Alice. Ici, Alice est lesbienne, les champignons sont des drogues et la Reine est un homo refoulé. "- Vous avez couché avec mon ex partenaire.
- Techniquement.
- Ca n'a pas l'air très technique.
"
Fortement sexué, Egoyan n'a donc renoncé à aucun de ses thèmes, synthétisés dans un thriller malin et admirable. Dans cette trame vieille comme le 7ème art, où il ne faut jamais mélanger le cul et le business. On le sait bien. Ca les détruit tous, un par un. Egoyan orchestre avec maestria ce jeu de massacre, sans revolver, mais avec la pression mentale qu'exerce les personnages sur les autres. Surtout il laisse au cinéma sa chance d'être factice, fictif et de nous raconter une histoire, telle qu'on les aime : du sexe, du meurtre, de l'amour. Le tout avec intelligence. C'est rare, donc c'est précieux.

vincy



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