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Elephant, Palme d or
Gerry

 

Last Days (Last Days)

Sélection officielle - Compétition
USA / sortie le 13.05.05


SON OF A GUN





"La carabine est dans la penderie."

Negative creep. Il était logique que le cinéaste du Nord Ouest des USA, Gus Van Sant, revienne sur le requiem de Kurt Cobain, rocker prodige de sa région. Aboutissement d'une trilogie sur le mal être d'une génération désemparée, sortant les fusils dans un lycée ou se paumant dans le désert. Dans Last Days, titre apocalyptique, l'arme et la perdition fusionnent. Mais Van Sant, malin, délocalise tout ailleurs (dans le Nord Est des Etats Unis) et ne nomme jamais son personnage. Biographie non autorisée, revisitée, fictive.

Come as you are. Dans cette atmosphère inquiétante, morbide, négative, le cinéaste tisse son lien invisible avec les gamins du Colorado ou les deux potes de Californie. Ici, il n'y a plus de Gerry en miroir (en mirage). Abandonné à lui-même, un homme seul erre dans une forêt. Retour à mère nature. Il se parle à lui-même. Atteint d'une Tropical malady. Désintox. Il est en quête. De quoi? Les autres - nous inclus - enquêtent. Sur lui. Van Sant le met rapidement nu (à nu). Pureté du personnage. Envahit par ses démons intérieurs.

Territorial pissings. Chacun marque alors son territoire. Le cinéaste avec un univers proche de ses deux films dépressifs précédents. Ici ni romantisme, ni lyrisme, ni lumière. Le comédien avec sa carrure, sa candeur, son don pour la musique. Quasiment sans un mot. Tout en allure. La photo et le cadre délimitent le film dans un registre art et essai, plus proche du cinéma est-européen ou soviétique (Tarr, Sokurov). Le son, enfin, acteur principal, du film. Les bruits qui hurlent peuplent l'image. Expérimentation sensorielle.

Lounge act. Le son, s'il a une grande importance, ne provoque pas forcément d'émotion. Approche contemporaine pour ne pas dire surréaliste. Reste, pour que le commun des mortels évite l'anesthésie liée au film, la musique. Elle remplit le vide existentiel et s'empare de l'ennui, de la solitude aussi. Se suffisant à elle-même. Les morceaux musicaux sont bizarrement sublimés. Les Boys 2 Men remplacent Bach pour servir de pivot. Lou Reed sert de catalyseur pour dynamiser le dernier tiers. Elle a son rôle à jouer.

Stay away. La musique n'est donc pas filmée n'importe comment. Telle qu'on la perçoit (par le biais de la télévision). Telle qu'on la reproduit. Playback sur un vieux 33 tours en vynil. Nostalgie désespérée sur un Venus in Furs magnifique. Telle qu'on se la joue. Image fixe : il est dans sa maison - dans sa tête - et nous restons à l'extérieur de son génie, le regard distant, l'admiration lointaine. A écouter. A ne jamais pouvoir partager ses tourments, ses pulsions. Maison cossue mais délabrée. A l'image du héros.

Bleach. Couleurs ternes. Verdâtres. Marrons. Sombre. Sale. L'époque est bien rendue. Négligeant le monde, en crise. Cérébral ce Last Days. Rien n'est écrit par hasard. Dans cette maison morte, il y a une forme de déchéance logique. Tout le monde s'y traîne. Les corps ont à peine la force de se mouvoir. Il n'y a plus de moteur : même la musique peine à sortir. Loin des clichés du rock, le film ne nous en épargne aucun. Van Sant contourne, parfois avec trop d'évidence, les astuces narratives, visuelles hollywoodiennes.

All apologies. Parasites et témoins cherchent une rédemption, une déculpabilisation. Ils apparaissent tous comme d'éventuels sauveurs. Tous impuissants. Pour renforcer cette idée, le cinéaste utilise des flash backs (qu'on ne voit pas venir de prime abord) et des scènes vues de différents angles (cf Elephant). Une histoire, plusieurs versions. De quoi insuffler le doute et s'interroger sur la vérité. Le récit mue en imaginaire. De la confusion naît une fascination. Le temps manipulé déroute les événements qui s'y déroulent.

Serve the servants. Chacun amène sa pierre à l'édifice de cet autel particulier. Ces rencontres absurdes (hilarante) avec un Monsieur Pages Jaunes ou ces deux jeunes croyants sont des visites inopportunes, commerciale ou religieuse qui nous agressent en permanence. VRP en tout genre pour mettre du larsen dans notre méditation. La paix n'est pas possible. L'humanité est en fin de course. Personne ne croit en son business ou en son avenir. On ne sait même plus parler de Dieu ou de ses sentiments.

Rape me. Car les potes ne sont pas en reste. S'ils apportent, tardivement, une véritable dynamique à un script parfois trop narcissique, ils dévoilent surtout leur insignifiance, leur absence de sens. Comme dans de nombreux films du cinéaste, les jeunes comblent leur ennui, ennui mortel qu'ils peinent à remplir. Alors ils écoutent de la musique. Sortent quelque part. Font l'amour. S'échangent les partenaires. Cherchent le plaisir entre filles, entre garçons, entre fille te garçon. Ils ont leur morale, mais restent irresponsables.

Dive. Tout cela nous laisse perplexe face à tant de mystères humains. Asia disparaît et personne ne s'en souci, pas même le réalisateur. Déstabilisé, le spectateur doit se raccrocher à quelques éléments plus rationnels ou plus poétiques pour ne pas se noyer. Se résigner à l'idée que les rôles secondaires n'existent que dans nos hallucinations ou selon les narrateurs (qui varient). Y avait-il Asia ans cette maison, au final? A l'instar de notre héros : on ne sait jamais si nous croisons du regard un fantôme ou un Christ sacrifié...

Oh me. Michael Pitt, acteur charismatique et passionnant, est clairement habité, hanté, incarné par ce rôle. Il dégage l'énergie nécessaire pour nous faire divaguer dans ses délires psychologiques. Il possède cette dose de charnel et de sexuel, cette beauté abrasive et auto destructive, qui nous permet de l'aimer d'instinct. Et lorsqu'il joue ses propres airs, dans ce trip solitaire qui nous fait vagabonder une heure et demi, nous plongeons avec lui dans un blues âpre, violent, oppressif. C'est étrangement sensuel. Souvent trop lent.

Nirvana. Nous n'atteignons jamais le paradis. Il n'y a ni la grâce d'Elephant ni l'hypnose de Gerry. Nous sommes dans un état de coma où nous souhaiterions abréger nos souffrances. Van Sant est parvenu à nous déranger avec une trilogie ambitieuse et artistiquement marquante. Mais à trop vouloir chercher la marginalité stylistique, se rapprocher d'un cinéma qui n'est pas le sien (à la manière d'un remake plan par plan d'un Hitchcock), il oublie de séduire complètement.

In Utero. L'extase n'est pas au rendez-vous. Le cinéaste a été trop loin dans son approche intellectuelle du cinéma, oubliant l'instinct et le plaisir. Finalement, l'âme du héros ne s'envole pas, il grimpe laborieusement à une échelle (celle de la folie?). Le film suit en cela les mouvements de son cobaye : ce n'est pas un ciel bleu que l'on rejoint, c'est de la terre dont s'extrait. Terrible constat, démoralisant. De quoi se foutre une balle dans la tête. L'impression du spectateur rejoint le sujet du film. La force de Last Days est peut-être là.

Lithium. Gus Van Sant n'a pas voulu retracer la vie de Kurt Cobain. Il a voulu démontrer l'aspect suicidaire de notre société. Lucidité qui flirte avec l'aliénation. Démarche artistique louable, lourde. On a le choix, après cela, de se gaver de lithium (et ainsi échapper au monde). Ou de mettre des piles (en lithium) dans un appareil photo, une caméra, un lecteur MP3 et s'évader du monde. Ou mieux, l'écouter. Le regarder. Après la séance, il devrait faire beau dehors. Débranchez.

vincy



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