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festival-cannes.com

 

Whisky

Certain Regard
Uruguay / sortie le 17.11.04


SCOTCHES POUR UN WEEK END





"- Toute une année pour mettre une plaque sur la tombe?"

Le titre du film vient de l'expression étrange employée lorsqu'on vous prend en photo. Pour sourire, ou plutôt pour faire croire à votre bonne humeur, à votre bonheur, il suffit de prononcer le mot Whisky (vous pouvez essayer, ça vaut cheese). Et le film est à cette image : un jeu de rôle où les faux semblants dissimulent mal les sentiments sous-jacents et frustrés, Tout semble étouffé sous l'insupportable silence, martyrisé par une intolérable promiscuité. Cette histoire de frustration - amoureuse, professionnelle - n'est que le révélateur d'un autisme désespérant (et émouvant) et un catalyseur d'envies.
Ici, rien n'est beau. Et pourtant nous aimons tout de suite ces personnages, cette routine aliénante. Dès le début du film, nous sommes les passagers de ce drôle de voyage. La voiture a du mal à démarrer, la ville est délabrée, les vitres sont sales. C'est un monde qui ne s'est pas encore adapté au XXIème siècle. Envoyer un fax n'est pas habituel. L'ordinateur est absent, on fait les comptes avec une vieille calculette. On écoute les cassettes au walkman. Nul CD. La vieille radio Philips rivalise avec la machine à écrire désuète. Le temps est omniprésent. Il est lourd, passé. Les rides, on devine qu'elles n'ont pas été toujours là. L'appartement, on imagine qu'il fut habité par la vie d'une famille. Pourtant tout semble cassé, tout semble mort. Et tout l'est, finalement. Ce décor marron et terne, abîmé et couleur whisky justement, amplifie cette sensation. On pourrait se croire dans le bloc communiste ou dans les pays miniers du nord de l'Europe.
Mais derrière ces détails se cachent des personnages pudiques, malhabiles, coincés dans leurs habits, "insécures". Le patron n'a pas d'autorité, trop timide. Son employée méthodique et appliquée n'a pas l'élan nécessaire pour exprimer ses désirs. Ces introvertis, absents, n'ont que des gestes mécaniques, qui vont être bouleversés, déstabilisés par l'arrivée du frère, qui a réussit au Brésil. C'est ainsi que Whisky devient le constat d'une vie ratée - à cause du comportement de chacun - et l'espoir d'une vie meilleure. Mais la psychologie risque d'être la plus forte. Rempli de douleur et d'impuissance, le film tourne autour d'un deuil, et pas seulement celui de la mère, puisque l'on enterre aussi les ambitions disparues. Regrets et amertumes. Pour ne pas nous plomber, le cinéaste rend ses personnages attachants. Elle s'évade par le cinéma et la musique. Il nous offre une escapade à la plage. Dans un hôtel déprimant, hors saison. Il esquive tout le pathos.
Blues total, la tristesse qui se dégage de Whisky ne nous sombre pas dans un coma éthylique. Au contraire, il a un effet euphorique. Grand petit film, profondément humain, il nous renvoie à nos actes manqués. Entre lui qui ne la remarque pas et qui veut lui plaire depuis si longtemps, le trouble nous happe et nous suspend à l'écran jusqu'au bout, pour savoir si, enfin, il y aura un échange entre eux. Car ce grand dadet radin pas doué pour grand chose et cette femme généreuse et attentionnée pourraient faire un beau couple..."- Sans un verre d'eau à côté de moi, je ne dors pas. - Moi non plus."
Mais voilà ici l'ironie fait qu'on se force à sourire pour garder des souvenirs heureux de soi, si malheureux. Misérable. On pourrait accuser la mère. Mais ce sont plutôt les mâles - deux coqs rivaux prêts aux victoires les plus mesquines - qui sont à plaindre, ados attardés qui se retournent sur des pouffiasses blondes et pratiques des jeux débiles. Faut bien combler le vide, fuir l'ennui. Ils sont tous vieillit, mais n'ont pas grandit. le temps s'est arrêté il y a trente ans. Ce sont les costumes, les papiers peints... Rien n'a changé. Ils sont devenus invisibles, transparents. Ils s'emmerdent tous. Et bizarrement, nous, non. On voit bien qu'on a des similitudes avec ces gens d'ailleurs, à qui on vend un bonheur coloré factice, derrière une vitrine, sur des photos retouchées.
L'excellence du jeu - particulièrement Mirella Pascual - n'est pas pour rien dans ce lien inconscient. Il manquait le courage pour défier les habitudes, tuer la solitude. Le film n'est pas celui d'êtres courageux. Il est celui d'humains détruits, soumis, victimes d'une époque qui n'est plus la leur. C'est merveilleux. Et triste.

vincy



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