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Production : Camera One, Pyramide Production
Réalisation : Alain Cavalier
Montage : Alain Cavalier
Photo : Alain Cavalier
Distribution : Pyramide Distribution
Son : Alain Cavalier
Durée : 97 mn

 

Alain Cavalier :

 

festival-cannes.com
Site officiel du TNT : Revue "A tout Cavalier"
Site distributeur

 

Le filmeur (Le filmeur)

Certain Regard
France / sortie le 21.09.05

Troisième passage d'Alain Cavalier à Cannes : le cinéaste a reçu le Prix de l'intimité 2005, après Thérèse en 1986 qui remportait le Prix du Jury et Libera Me, sélectionné en compétition officielle à Cannes 1993.





Un journal intime filmé
"J'ai rejoint un vieux rêve de metteur en scène devenu cinéaste avant d'être filmeur : me trouver seul avec la personne qui est seule devant mon objectif. C'est une manière d'élargir ma relation avec ceux que je choisis ou qui viennent vers moi. J'ai rarement travaillé sur un autre sujet", expliquait le cinéaste peu avant le Festival de Cannes. Le filmeur est une suite d'extraits (au sens le plus brut du terme) de vie, sans autre fil conducteur que le vécu intime du réalisateur qui vient de fêter ses 74 ans. Dix ans compressés en 97 minutes, dont le montage suit un paradigme fortuit, à l'image de la vie. Une intimité tant poussée à l'extrême qu'elle pourra en devenir dérangeante. En cela aucune comparaison possible avec d'autres autoportraits ou manifestes du genre (Les années déclic de Raymond Depardon, Demain et encore demain de Dominique Cabrera,…). Des plans autonomes sur ces petites choses du quotidien : des chambres d'hôtels au hasard de ses voyages de promo, son corps endolori, son cancer, sa femme Françoise dénudée ou à l'œuvre au quotidien, sa mère, la vieillesse, son histoire familiale. Ici, un oiseau, là l'attentat contre le commandant Massoud, le 11 septembre à la Tv ou encore un clin d'œil à Claude Sautet le jour de sa mort. La mort, justement : elle est évidemment omniprésente, tantôt vaporeuse tantôt écrasante pour nous spectateurs. "Oui, la caméra me protège de cette mort qui approche" confiait dernièrement le cinéaste. "La caméra m'aide, comme lorsque je me suis filmé avec mon cancer. Cela m'a libéré d'un poids, mais je n'avais pas du tout l'intention de le mettre sur le dos du spectateur. (…) Dans l'autobiographie, il y a toujours un danger dans le rapport avec le lecteur ou le spectateur. Mais on ne peut pas affadir la vérité, et alors le risque c'est que la vérité soit légèrement insupportable. Mais il vaut mieux une vérité légèrement insupportable qu'une absence de vérité".

Impudeur ? Prises d'élan vers nous, spectateurs ? Le filmeur se distingue radicalement des deux précédents autoportraits d'Alain Cavalier.
Nouveauté : dès ses premiers plans, en 1994, le cinéaste a choisi de se s'auto-portraitiser à l'état brut, se filmer, d'enter dans le champ, en phase avec ses propres "prises de vie". "Pour la première fois, je filme mon visage. C'est avec difficulté que je me suis libérée de ma crainte de me montrer. Vous verrez que des évènements précis m'ont poussé à le faire. J'ai appris que, malgré ma franchise, on inconscient essayait de dissimuler de solides secrets". Auto dérision, jeux de miroirs, gros plans, très gros plans, images de son corps face à la maladie,… Caméra au point, le cinéaste dialogue avec lui même, avec son entourage et confie ses sentiments hic et nunc.
En 1978, deux techniciens l'accompagnaient sur le tournage de Ce répondeur de prend pas de message, filmant le réalisateur la tête dissimulée derrière un bandeau Velpeau. Seuls ses yeux apparaissaient à l'écran. Un film très noir dominée, à l'époque, par la perte d'une personne chère au cinéaste. En 1996, pour La rencontre, Alain Cavalier tournant seul choisissait le vecteur de la caméra suggestive. Un point de vue unique, corps et visage hors champs, à l'exception, de temps en temps, de ses mains. Priorité à la voix : la sienne, en premier lieu ; puis celles de tous ceux qui croisaient sa route.

Voix/voies croisées
Un film pour une "observation juste de la nature humaine", pas davantage, pas moins. "Le cinéma incarne les idées dans des corps et des personnes", explique Cavalier. Rappelons que le cinéaste a entrepris Le filmeur à l'époque où, selon ses propres termes, il a préféré tenir son journal intime "avec une caméra plutôt qu'avec un stylo". "Dans cet exercice, qui est un peu une recherche de soi-même, on est obligé de transgresser les règles du spectacle, tout est question de limite, de mesure". Une quête de vérité(s) en images, voies et voix filmées. De prolifiques espaces de représentation, d'interprétation mais, avant tout, émotions saisies au vol. En 1995, le réalisateur Jean-Pierre Limosin et son Alain Cavalier, 7 chapitres, 5 jours, 3 pièces-cuisine partait à la rencontre ces sphères. Alain Cavalier est actuellement à l'honneur de la revue Louma, revue au sens large et scénique du terme organisée par le TNT de Bordeaux. Son opus Cinéma, la revue "A tout Cavalier", est la première de six chapitres à venir d'ici l'automne 2006 (entres autres sphères artistiques et/ou médias, telles que la danse, le son ou la radio). Un événement instigué par le chorégraphe et documentariste Alain Michard, directeur artistique Louma, invité en résidence au TNT… Voyage chez Alain Cavalier, en parallèle de ses autres créations images et son, notamment issues de résidences au Japon (à la Villa Kujoyama de Kyoto). Alain Michard œuvre par ailleurs sur un projet de documentaire qui traitera du retour en terre nipponne de milliers de brésilien et péruvien, descendants des Japonais exilés en Amériques Latine après la guerre.



Revue "A tout Cavalier", par Alain Michard
Du 21 septembre au 11 octobre 2005 à Bordeaux
TNT, en partenariat avec le cinéma Utopia et la galérie La Machine à Lire
Rétrospective Alain Cavalier, dont projection du Filmeur en présence du cinéaste le 22 septembre 2005
Performances "Faire Cavalier Néant" de Laurent Pichaud et "Sur la voix d'Alain Cavalier" de Alain Michard (performance sur la question Que reste-t-il d'un tel film lorsque les images en sont absentes ?)

ENTRETIEN AVEC ALAIN MICHARD

Ecran Noir : On évoque votre fascination pour les capacités de travail d'Alain Cavalier, son adaptabilité à toutes les formes de cinéma. De quelle façon avez-vous découvert le cinéaste ?

Alain Michard: Je ne me souviens pas très bien de quel premier film d’Alain Cavalier j’ai pu voir. Peut-être s’agissait-il de certains "Portraits" (de femmes au travail, films courts réalisés pour la télé). A l’époque, cela m’avait touché, mais n’avait pourtant pas ouvert de désir d’aller plus loin. Je suis passé à côté de Thérèse, peut-être par crainte de ne pas être assez disponible pour recevoir une œuvre qui me paraissait trop pleine de son projet esthétique. Il a donc fallu que je découvre La rencontre, au St André des Arts, cinéma parisien remarquable par son sens du "devoir" de transmettre les œuvres, quasi militant. C’est donc là que j’ai découvert un cinéma, celui de Cavalier, qui s’est affranchi des artifices de la fiction pour se dépouiller et mettre ses ressources au service du seul récit. En l’occurrence, le récit d’une rencontre entre un homme et une femme, qui nous accueillent dans leur intimité, mais qui, pour que cela soit possible, ne montrent de leur corps que leurs mains, un reflet dans une vitre, et leurs voix, ces voix qui résonnent en nous plus que toute image. Ils nous racontent leur histoire en se racontant l’un à l’autre, et en remettant la main sur des objets qui ont jalonné les étapes de cette rencontre, réunis comme une collection d’enfant.
C’est cette extrême pudeur dans le dévoilement, qui m’a touchée, et cette confiance qui est faite à l’idée que ce qui concerne l’artiste au plus profond ne peut que concerner le spectateur, cela n’étant rendu possible que par le sens de la représentation de ce qui est montré. Cette confiance faite à la représentation est ce qui m’a donné envie de voir et revoir ce film. Je n’en revenais pas que l’on soit capable d’une telle simplicité, une telle fluidité. Puis, peu de temps après cette découverte, j’ai eu la chance de voir Ce répondeur ne prend pas de message. Que je suis allé revoir, et que je me suis mis à vouloir à tout prix montrer. C’est ainsi que j’ai rencontré la compagne d’Alain Cavalier, qui m’a très simplement prêté le film, dont il n’existe qu’une copie 16mm. Au cours des années suivantes, je l’ai montré régulièrement, à chaque fois que s’en présentait l’occasion. Et j’ai peu à peu compris que cet acte de montrer est peut-être ce que je considère comme le premier acte artistique, comme la base de l’art, avant même de produire tout geste ou parole. Je ne crois pas en l’invention en art, je crois en l’interprétation. Et c’est là que je rejoins Cavalier.
Plus tard, j’ai découvert d’autres films de Cavalier, et son incroyable diversité.

EN: En quoi le cinéma d'Alain Cavalier nourri-t-il vos créations ?

AM: Honnêtement, je ne le sais pas. Mais ce que je sais en revanche, c’est que je me sens proche de sa manière d’être en relation avec l’environnement, avec les objets notamment. C’est un cinéaste quasi animiste, il filme l’esprit des objets. Et il est à souligner qu’en cela il n’est jamais mystique, mais hautement spirituel.
Mon propre travail se fonde sur une relation forte à l’environnement. Je choisis souvent de développer mes projets dans des espaces non-théâtraux, et n’ai de cesse de travailler cette tension, cette lutte-unité du corps avec l’objet et avec l’architecture.
Par ailleurs, au fur et à mesure que j’ai découvert les films de Cavalier et ce que j’ai pu connaître de l’homme-cinéaste, j’y ai trouvé des ressources pour me confirmer dans mon désir de mobilité à l’intérieur du champ chorégraphique, et ma volonté farouche d’échapper à tout désir de sécurité (je ne suis pas un rentier). Cavalier n’est pas un modèle, mais je pense à lui lorsque je me sens devoir affirmer mon autonomie, vis à vis d’un système politique et économique qui formate les œuvres plus qu’il ne les accompagne. J’ai été particulièrement marqué lorsque, après nos quelques conversations téléphoniques, nous nous sommes rencontrés pour une longue conversation, et que je me suis senti comme porté par cette pensée d’un artiste entièrement voué à son art, sans être un fou obsessionnel, un artiste qui a atteint un point rare de ce que l’on pourrait appeler une forme de pureté, ou de grâce. Il est à la fois détaché du superflu, du désir de reconnaissance, des faux désirs et des faux amis, et fermement attaché à son sujet, à sa tâche. Il faut voir le film de Jean-Pierre Limosin pour bien comprendre cela.
Pour conclure, je dirai tout de même que si le cinéma de Cavalier nourri mes créations c’est aussi le cas d’autres cinéastes, tant il est vrai que je suis nourri par le cinéma, que j’y trouve toujours un stimulant pour mes projets.

EN: Considérez-vous Alain Cavalier comme un cinéaste résolument à part ?

AM: A part, non, singulier, oui. Son histoire de cinéma en recoupe d’autres, et il y a certainement de nombreux artistes qui ont été, comme moi, marqués par ses films. Ce qui en fait quelqu’un de singulièrement singulier, c’est cette capacité qu’il a eu à se remettre en question tout au long de son parcours.
Je crois beaucoup à la nécessité de rupture, particulièrement en matière d’art, cette nécessité vitale de ne pas s’enfermer dans un savoir-faire. Je dirais donc que Cavalier se situe, selon moi et selon les périodes, non loin de Melville et de Sautet pour ses débuts, de Dreyer pour un film comme Thérèse, et enfin, entre Chris Marker et Raymond Depardon pour la période la plus récente.
Et il possède cet art du chuchotement unique.
Enfin, il est remarquable qu’il ait su si tôt s’emparer des nouveaux outils technologiques, numériques, comme peu d’autres cinéastes de sa génération .


EN: Quelques mots ces deux rendez-vous de la "Revue A tout Cavalier" : "Faire Cavalier Néant" et votre performance, "Sur la voix d'Alain Cavalier" ? Quelles étaient vos intentions artistiques, notamment en terme d'héritage sonore ?

"Faire cavalier néant" est une création de Laurent Pichaud, je lui laisse donc le soin de s’en expliquer. Tout ce que je sais, c’est qu’il va faire référence au film de Jean Pierre Limosin sur Cavalier : 7 chapitres, 5 jours, 2 pièces-cuisine.
AM: Pour ce qui concerne "Sur la voix d’Alain Cavalier", l’idée m’en est venue en relisant une transcription des mots dits dans le film et en réalisant à quel point cette part du film et l’absence d’images restituaient une force. Après avoir eu souvent l’occasion de partager ce film, exceptionnel par sa rareté et par sa force poétique, j'ai éprouvé l’envie d’amener ce cinéma, dont je me sent proche et avec lequel mon imaginaire se nourri depuis toujours, sur mon propre terrain, celui du spectacle vivant. Cela pour y porter un regard, des gestes et donner d’autres voix aux mots d’Alain Cavalier.
Ce projet est d’abord né d’un dialogue avec Laurent Pichaud à propos de l’œuvre d’Alain Cavalier, puis s’est réalisé en association avec le metteur en scène Eric Didry, et Audrey Gaisan (danseuse interprète notamment de Loic Touzé et Jennifer Lacey).
"Sur la voix d’Alain Cavalier", est une simple mise en actes et en espace spectaculaire des mots dits par Alain Cavalier dans son film Ce répondeur ne prend pas de message.
La question était : en l’absence de ses images, que reste-t-il d’un film tel que celui-là ?
Une évocation qui, en quelques gestes, un souvenir de la rencontre avec Alain cavalier, des reconstitutions sonores, et surtout le texte porté tour à tour par les trois voix des trois protagonistes, conduit le spectateur à composer ses propres images. Images intérieures qu’il est très troublant de confronter ensuite au film lui-même lors de sa projection au cinéma Utopia.

Sabrina



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