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Production : Fidémlité productions
Réalisation : François Ozon
Scénario : François Ozon
Montage : Monica Coleman
Photo : Jeanne Lapoirie
Décors : Katia Wyzskop
Distribution : Mars distribution
Musique : Arvo Pärt, Valentin Silvestrov, Marc-Antoine Charpentier
Durée : 85 mn

 

Henri de Lorme : le médecin
Louise-Anne Hippeau : Sophie
Christian Sengewald : Sasha
Marie Rivière : La mère
Daniel Duval : le père
Valeria Bruni-Tedeschi : Jany
Jeanne Moreau : Laura
Melvil Poupaud : Romain

 

festival-cannes.com

 

Le temps qui reste

Certain Regard
France / sortie le 30.11.05

Régression. Swimming Pool avait eu les honneurs de la Compétition Officielle. Pour des raisons tactiques, artistiques, ce film plus "mineur" (casting, ampleur de la production) n'a été placé que dans Un Certain Regard. Critiques mitigées qui se rattraperont en louangeant Ozon (Télérama) et Poupaud (Libération) lors de la sortie face au mastodonte Harry Potter. Reconnaissons que François Ozon est bien l'un des rares cinéastes en France, qui plus est de la jeune génération, à pouvoir "vendre" un film sur son nom, tel un label.




Le réalisateur a fait connaissance avec le Scope : "ça peut paraître étrange d'avoir utilisé le Scope pour un sujet aussi intime mais c'est le cadre idéal pour filmer l'horizon, la position allongée, la mort. Ça m'a obligé à cadrer différemment, à raconter autrement. Souvent en Scope, il faut être très serré, ou bien très large. Les plans américains fonctionnent peu. Et puis, on a très peu de profondeur de champs. J'ai découvert en jouant sur des changements de point que l'on pouvait créer des intensités dramatiques, auxquelles je ne m'attendais pas. Comme dans la scène du parc avec la soeur au téléphone. Ça m'a permis aussi d'être beaucoup plus près des acteurs. Très vite, je suis rentré dans leurs visages, les yeux prenaient plus de valeur."
Ozon insiste sur la filiation entre Sous le sable et ce nouvel opus. "À l'origine, il y a l'idée d'une trilogie sur le deuil, commencée avec Sous le sable, «mélodrame sec» qui posait la question de comment vivre la mort de l'autre. Le temps qui reste pose celle de sa propre mort à soi. Et le troisième volet, que je ferai peut-être un jour, racontera la mort d'un enfant." Ici la mort est une maladie et non une disparition suicidaire. "Je tenais à une maladie sans rémission possible et heureusement aujourd'hui on peut ne plus mourir du Sida. Par ailleurs, je ne me sens pas encore capable de faire un film sur le SIDA. Je le ferai certainement un jour,mais lorsque j'aurai plus de recul sur ce que j'ai pu vivre et observer autour de moi. Le temps qui reste est néanmoins empreint des angoisses que le SIDA a pu engendrer pour ma génération qui a découvert la sexualité en parallèle de la maladie et de l'idée de la mort."
La mort justement. "J'ai d'ailleurs forcément repensé aux Fraises sauvages de Bergman, mais j'ai préféré montrer des moments très simples, ni extraordinaires ni significatifs. Des images d'enfance qui arrivent comme des espèces de flashs. J'ai privilégié des instants, des regards, très peu de paroles, juste une atmosphère, des sensations. Peut-être que ces images d'enfance qui hantent Romain l'aident à accepter l'enfant en lui, et donc à passer le relais." Porté et incarné par Melvil Poupaud (acteur, chanteur). Ozon explique ce choix évident : "J'ai toujours beaucoup aimé la présence un peu lointaine de Melvil dans les films, surtout dans Conte d'été. C'est l'unique héros masculin de la série des Quatre Saisons, et Rohmer l'a filmé avec la même grâce et le même érotisme qu'il filme les jeunes filles. Je l'avais déjà rencontré en casting pour des films précédents, mais c'est quand il m'a envoyé une invitation pour la projection de ses courts métrages en vidéo, que j'ai eu une sorte de déclic. J'ai été très touché par ses films qui m'ont rappelé les films en super-8 que je faisais adolescent. Et j'ai aimé qu'il se filme depuis son enfance, qu'il ait ce lien presque naturel à la caméra. J'ai pensé que ce rapport artisanal au cinéma était quelque chose qui pouvait nous réunir. Et effectivement, il a compris et accepté très vite ma façon de faire des films. Il s'est intégré très tôt au projet, il a suivi les différentes étapes de l'écriture et du montage. De plus en plus, je me sens proche de ces comédiens qui s'impliquent complètement. On ne fait pas le film seul mais à plusieurs et j'ai besoin de leur aide, de leur incarnation pour trouver ce que je veux raconter, les sensations que je veux transmettre. Je n'ai pas envie de travailler contre eux mais avec eux."
Ozon a du coup, aussi, engagé Jeanne Moreau, bien plus intense que dans les récents et kitschs Rois Maudits. "J'avais toujours rêvé de tourner avec Jeanne et c'est l'actrice française qui me manquait pour 8 femmes, même si elle était présente à travers le costume d'Emmanuelle Béart (référence au Journal d'une femme de chambre de Buñuel). Jeanne fait partie de ces acteurs très proches des metteurs en scène. (...) Elle a beaucoup nourri le personnage, son passé. Elle donnait son avis, des idées, elle me parlait des livres qu'elle aimait. Ce fut une très belle rencontre et le lien de tendresse et de complicité qui s'est créé entre nous se reflète dans le film à travers la relation de Romain et de sa grand-mère."
Il a demandé à Valéria Bruni-Tedeschi de revenir un an après 5x2. " Sur 5X2, ce fut une vraie rencontre et elle a suivi amicalement l'écriture du scénario du Temps qui reste. J'ai un peu écrit le personnage de Jany en pensant à elle, mais sans lui dire. Quand elle a lu le scénario, elle l'a tout de suite aimé. Elle était très émue par son naturel, sa naïveté et sa simplicité. Il lui faisait penser à Shirley Mac Laine dans Comme un torrent."
Que de références cinématographiques. Il ne faudrait pas oublier la musique : "Je suis allé vers une musique très épurée, avec des consonances religieuses, Arvo Part, Silvestrov. Au départ, il n'y a quasiment pas de musique, elle est juste là pour souligner les moments d'enfance. Mais elle envahit le film au fur et à mesure que Romain se réconcilie avec le monde. Le parcours de Romain a forcément des allures de chemin de croix. C'est d'ailleurs dans une église qu'il a des réminiscences de sa propre identité sexuelle. Il me semblait que Romain devait se confronter à la croyance, à l'au-delà, à toutes ces questions métaphysiques qu'on se pose dans une telle situation."
La foi dans le cinéma. Voilà le nouvel itinéraire de l'enfant gâté Ozon, où la critique ne parvient pas à déterminer s'il est surfait ou sous estimé. Son habileté médiatique, son talent marketing épatent malgré tout. Face aux machines hollywoodiennes, il est l'un des rares à faire parler de lui. Le temps qui reste ne sera peut-être pas un succès public. Mais son huitième long métrage montre qu'il lui reste beaucoup de temps avant de mourir cinématographiquement.

vincy



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