Production: Rossignon / Nord-ouest production, Granpierre / Eskwad
Réalisation: Gaspar Noe
Scénario: Gaspar Noe
Montage: Gaspar Noe
Photo: Gaspar Noe
Musique: Thomas Bengalter
Durée: 99 mn
Vincent Cassel: Marcus
Monica Bellucci: Alex
Albert Dupontel: Pierre
Philippe Nahon: L'ex boucher
Jo Prestia: Le ténia
Festivalcannes.org

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DVD
 

 

Irréversible

France / 2002 /
Compétition/ Présenté le : 24.05.02
Sortie le 24.05.02

Deux hommes font irruption dans une boîte hardcore gay pour lyncher à mort un des occupants des lieux. Le mobile de cet acte de barbarie apparait petit à petit tandis que le récit remonte le cours des événements

Projet mineur pour Gaspar Noe, susceptible de ne pas lui faire perdre la main avant d'entamer un film plus important, Irréversible prit rapidement une dimension beaucoup plus ambitieuse. Le réalisateur jongla avec les idées de départ avant de parvenir à concilier un casting attractif et une production assez motivée par la prise de risque. L'idée restant de faire un film qui touchait à l'intimité d'un couple et donc centré sur le sexe. Au final le budget se révélera très conséquent et le développement beaucoup plus long que prévu.
Gaspar Noe se heurta très vite tout d'abord à son parti pris de départ consistant à laisser la part belle à l'intuitif. Un script mis en forme dans l'urgence, considéré comme évolutif, un tournage de plans séquences qui se déroula sur un laps de temps très court et qui supposait que les failles puissent être comblées sans trop de difficultés au montage. La problématique fut toute autre pour rendre l'ensemble cohérent avec la vision du cinéaste. Perfectionniste, le réalisateur français eu recours à beaucoup de procédés digitaux en post production pour soigner les détails, comme rajouter une bite en érection au détour d'un plan. Les producteurs s'arrachèrent quelques cheveux, mais l'ami Noe parvint à boucler son film et à imposer intégralement sa vision in extrèmis pour être présenté à Cannes. Choquant, le film l'est et à de multiples égards quelqu'en soient les interprétation de chacun. Vaste fumisterie ou électrochoc salvateur, la réputation sulfureuse médiatique dont le film s'est retrouvé entouré porte ses fruits en engage les discussions. Aucun critique cannois ne restera véritablement indifférent, quitte à faire claquer son fauteuil en pleine séance en baissant le pouce.
Elle s'exporte la madone italienne. Monica Bellucci valse de bras en bras des partenaires cinématographiques les plus prestigieux. On la verra ainsi des les mois à venir aux côtés de Bruce Willis dans Hostile Rescue, puis de Keanu Reeves pour The Matrix Reloaded et The Matrix Revolutions avant de figurer aux côtés de Sean Connery et Stuart Townsend dans The League of Extraordinary Gentlemen d'après le comic d'Alan Moore et qui mêle au sein de la même histoire fantaisiste des personnages de la littérature classique aussi divers qu'Alan Quatermain ou Tom Sawer... Gageons que la belle manquera au cinéma européen pendant ce temps, mais qu'elle saura ne pas oublier ce dernier.
Dans la BD aussi, Vincent Cassel qui arbore à Cannes la barbe et la crinière rousses du Lieutenant Bluberry pour la nouvelle réalisation qui s'est fait quelquepeu attendre de Jan Kounen, muet sur les grands écrans depuis Dobermann. Enfin Albert Dupontel sera de retour dans les salles fin août avec une comédie portant le titre de la poupée gonflable dont il s'amourache: Monique.

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Le nombre de divergences opposant l’équipe présente à Cannes sur ce film précisément fait que nous avons préféré exceptionnellement vous proposer deux critiques correspondant à deux façon de recevoir le film. La première est un coup de foudre; la seconde est plus dubitative sur le fond qui nous est proposé.

 
VOIE SANS ISSUE

"Tu veux que je te dise? Le temps détruit tout..."

Est-ce le début ou bien déjà la fin ? La caméra perd pied, désincarnée, tourbillonnant au sein d’un maelström vertigineux, sans pouvoir s’accrocher à un quelconque repère sensé. De l’obscurité naîtra la lumière, mais celle-ci restera définitivement assombrie par la perspective fataliste que Gaspard Noe met en place avec gravité dés les premières images de son nouveau film, puisque celui ci se déroule tel un flashback progressif.
Irréversible n’est pas une oeuvre qui ravit l’esprit, ni flatte l’ego, car triturant ce qu’il y a de pire chez nous, cette partie cachée et instinctive que l’on se plait à ignorer, voire à renier. Pour ses raisons il peut provoquer chez le spectateur des réactions plutôt négatives et prévisibles, allant du malaise répulsif à l’incompréhension distanciée. Film compulsif, sa démarche n’est pas de se livrer à une analyse intellectuelle des mécanismes qui régissent notre comportement, mais de jeter sur l’écran ce qui pourrait se résumer par une perte de contrôle totale, un dérapage en roue libre, alors que la raison a mis les voiles.
Le réalisateur n’a pas de réponses à livrer, le propre de l’artiste n’est-il pas de poser des questions ? Cela ne l’empêche pas en tout cas d’avoir des certitudes. Le temps et l’usure qu’il provoque détruit tout. Particules en combustion brûlant de l’énergie, tout est périssable. Constat basique et définitif qui motive inconsciemment l’urgence de nos vies. Le bonheur ne tient qu’à un fil que nous ne maîtrisons que partiellement dans un univers chaotique. En perte de foi en une éternité longtemps rêvée, il ne reste à l’être humain qu’à jouir de l’instant et à se confiner en sa seule capacité à se donner un successeur pour trouver un sens à son horizon limité. Voyant leurs destins interrompus, compromis dans son déroulement convenu, Marcus et Pierre, les deux personnages masculins principaux, se refuseront de composer avec la facture vulnérable des choses. Ils abdiqueront pour se résigner à leur propre destruction au travers de la violence. VÏux de faiblesse, d’impuissance, ils ne trouveront point de salut dans la vengeance en toute logique puisque leur soif de revanche est vaine face à l’irréparable.
La force d’Irréversible reste sans doutes l’énergie qui nourrit le film. Au risque de rebuter le spectateur par son approche désillusionnée, Noe parvient à faire jaillir de la noirceur de son récit un puissant souffle de vie. Le fait de montrer que rien n’est acquis indéfiniment ne peut que nous pousser à cultiver le bonheur et à profiter de sa fragilité pendant qu’il est encore temps. Une urgence essentielle placée lucidement dans sa relativité.



 
IRRESPONSABLE

Gaspar Noé ne sera pas seul contre tous ; son film n’inspire pas de haine ou de révulsion. Irréversible et son auteur sont plutôt victimes du marketing et du tintamarre autour. Qualifié d’audacieux, de provocateur, d’anarchiste, de réac, de visionnaire, de parano, il n’est rien de tout cela. Définissons plutôt Noé comme un mâle hétérosexuel occidental et caucasien dont le bonheur idéal est un couple XX/XY dans un grand appartement prêt à accueillir un futur bébé. Son film ne cible que ses congénères. Bref un ex-majoritaire perturbé par les minorités et le déclin de sa civilisation. A ce sujet, avouons au moins qu’il a le regard lucide et la caméra juste. D’ailleurs il atteint le meilleur de sa réalisation avec les situations les plus vraies, autrement dit toute la dernière partie du film, à partir de la scène de métro jusqu’aux hallucinantes pales de l’hélicoptère. Les comédiens donnent le meilleur d’eux-mêmes entre l’intimité, l’improvisation et l’irréalité du cinéma.
Cependant la première partie pêche et pactise avec un discours profondément choquant, bien plus que les images. Cela reste de la fiction, et le cinéaste a préféré l’onirisme et la distance pour filmer l’inacceptable. Car on s’immerge davantage dans une boîte de nuit 100% testostérone (là réside la véritable violence) que dans un tunnel où l’on est placé comme de maudits voyeurs censés être perturbés par le jeu de deux comédiens. L’aspect gore nous révulse davantage dans le sens où après le meurtre il n’y a plus rien. Le discours n’est pas plus tolérable que les actes décrits, que ce soit le viol ou la vengeance d’ailleurs. L’autodéfense et la vengeance érigées comme droit de l’Homme, la police méprisée et insultée gratuitement, la fatalité comme résignation à ses propres instincts, tout cela ne peut tenir lieu de philosophie ; cela reste une opinion et en tant qu’auteur sa responsabilité est grande vis-à-vis d’un public qui n’a pas forcément les clés pour comprendre la critique de sa propre observation.
Le concept du montage à l’envers ne dessert pas le film, et la caméra regarde là où il faut s’attarder : la jeunesse d’aujourd’hui, le bonheur éphémère dont il faut profiter, la lâcheté des uns et la bêtise des autres, la décadence en quelque sorte, notamment avec les sexualités dépravées et exhibées. Dommage que Noé s’interdise de donner un contre-discours à l’homophobie, au racisme et à l’agressivité meurtrière du début de son film. En cela il laisse la boîte de pandore, la porte de l’enfer, celle du Rectum mais aussi l’entrée du tunnel totalement ouvertes. Il est impossible de cautionner cette animalité, cette absence de raison. La forme, hynotisante, ne résout rien.
Profondément pessimiste, cet hommage appuyé à Kubrick dans certains plans, a une phrase, déterministe, qui cogne comme un slogan : Le temps détruit tout. Tout est là, tout est dit. Pourtant ce n’est pas vrai. Car le temps (qui est relatif selon certains) construit aussi. Là où Noé s’est égaré - trompé ? c’est que le temps ne détruit rien, si ce n’est notre misérable existence dont il a tant conscience. C’est l’Homme qui détruit tout. Et tout le film le prouve. Mais désormais la pellicule est sèche, le scandale avorté, et le film devenu une preuve irrévocable. Face à cette insensibilité ressentie, Irréversible paraît irrémédiable.

  (C)Ecran Noir 1996-2003