Production: Helmut Grasser & Philippe Bober
Réalisation: Ulrich Seidl
Scénario: Ulrich Seidl & Veronika Franz
Montage: Andreas Wagner & Christof Schertenleib
Photo: Wolfgang Thaler
Son: Ekkehart Baumung
Décors: Andreas Donhauser & Renate Martin
Durée: 2h00
L'auto-stoppeuse: Maria Hofstätter
Mr Walter : Erich Weiss
Mr Hruby: Alfred Mrva
La prof: Christine Jirku
Le grec: Victor
Festivalcannes.org
Site officiel du film
 
 

Hundstage (Dog days)

Autriche / 2001 / Sortie en salle le 25 septembre 2002
Prix de la révélation FIPRESCI 2002
Grand Prix du Jury Venise 2002

Banlieue pavillonnaire de Vienne en plein été, il fait chaud, cruellement chaud et le mercure du thermomètre ne semble pas vouloir descendre d'un cran. Six récits tracent le portrait intime de citadins pris sur le vif et tentant de composer avec la canicule mais surtout avec les frustrations de leurs existences…

Né à Vienne en 1952, l'autrichien Ulrich Seidl s'est essentiellement illustré, avant de s'attaquer à son premier long métrage de fiction, en tournant des documentaires (Models, Animal love…). De la préparation au tournage, trois ans lui auront été nécessaires pour mener à bien Dog days, car le réalisateur aime prendre son temps pour atteindre ses objectifs.

Il aura d'ailleurs fait énormément suer ses acteurs, les emmitouflant en plein été et les chauffant au radiateur pour intensifier leur transpiration et rendre à l'écran la canicule plus tangible. La plupart de ses interprètes sont des amateurs, recrutés au hasard d'une heureuse rencontre.

As du name droping, le personnage de l'auto-stoppeuse du film, interprété par Maria Hofstatter, voue une passion exacerbée pour les statistiques, exemple :
Tu connais les positions sexuelles les plus fréquentes?
1) L'homme au-dessus 44%
2) La femme au-dessus 33%
3) Par derrière 30%
4) Sur le côté 25%
5) Assis 11%
6) Debout 8%

 

LA PLOMBE HUMAINE

Le chien est l'ami de l'homme, mais l'inverse n'est pas toujours vrai…

Tout comme les frères Dardenne ou Bruno Dumont, Ulrich Seidl est de ces cinéastes qui s'intéressent de près au réalisme; ayant recours à des acteurs amateurs pour mieux graver sur la pellicule la vérité humaine avec une foi certaine dans la sincérité de la spontanéité. De même que ses confrères, Seidl sait aussi exactement ce qu'il souhaite faire passer dans ses longs métrages et quels sont les atouts de l'artifice fictionnel. Point de naturalisme ici, mais un goût évident pour l'hyperréalisme et son sens du détail appliqué frôlant l'obsessionnel. Rien n'est laissé au hasard dans les compositions géométriques des cadres au sein desquels les protagonistes sont "rangés" tels des ustensiles, dans les associations d'éléments qui démontrent la vacuité de leur existence. Tellement familières, les situations finissent par en devenir ironiques dans leur banalité. Ces paisibles propriétaires, en train de bronzer symétriquement disposés autour de leur barbecue flambant neuf ou marchant avec application sur les dalles pour ne pas piétiner leur gazon soigné, évoquent même Jacques Tati ou Roy Andersson. Fort de son matériau brut et parfaitement évocateur, le réalisateur joue de son regard d'explorateur, utilisant le soleil et ses effets comme une focale grossissante qui lui permet de souligner ce qui le préoccupe, tandis que d'autres emploieraient un projecteur pour découper un sujet photographique. Le génie vient ensuite de la capacité extraordinaire que possède Seidl à laisser filtrer, par la grâce de l'improvisation dans sa direction d'acteur, le souffle de vie qui anime l'ensemble de ses tableaux pour aboutir à la justesse. Peut-être comme seul pourrait le faire quelqu'un qui vient du documentaire… Plus vrai que nature, la représentation a de quoi gêner car il est difficile de s'exclure de ce reflet hypnotique et peu valorisant de nos semblables. Aliénés par des conventions sociales, par la vide d'une existence fataliste, chacun est seul et à la recherche de paliatifs susceptibles de faire passer la pilule de leur destin préprogrammé. Confinés au raisonnable, au matériel artificiel, les protagonistes dérapent dans l'extrème comportemental (viol, sadomasochisme, drogue…) dans l'espoir de s'oublier au travers d'un absolu idéalisé, mais sans grande conviction. Il y a le sexe. Mais il n'y a pas d'amour. Il y a des conflits relationnels, mais aucune communication.
Le besoin d'échanger avec l'autre est incarné par cette auto-stoppeuse simple d'esprit et indiscrète (comme nous le sommes en tant que spectateurs) qui ignore les usages restrictifs des rapports humains, sollicitant l'attention avec insistance et naïveté. Elle s'en fera sévèrement corriger car on ne change pas ainsi les règles d'un système établi et basé sur les rapports de force. Le sujet d'étude qui s'en tire le mieux est en fait ce retraité maniaque et autoritaire. Il incarne la facette conservatrice de cet univers sclérosé, on serait même tenté de dire qu'il en est l'initiateur en digne représentant de la génération qui l'a mis en place. Egoïste et dénué de toute compassion, il dirige son entourage selon ses besoins, usant de sa position et de son argent pour faire valoir ses droits. Se complaisant dans le confort contrôlé, aucune évolution ne s'impose à lui, son âge limitant ses aspirations au delà de sa propre survie.
La vieillesse triomphante dans un monde décadent? C'est un peu le parti pris qui ôte un pan d'objectivité dans la vision de Seidl. L'avenir semble impossible, car les enfants ne sont pas là. Mais Seidl souhaite t-il vraiment montrer que le modèle peut se reproduire? Du couple il ne reste que des ruines. Divorcés mais encore scotchés ensemble, voués à se réfugier dans des actes régressifs, les parents sont résignés à ne pas accèder à la maturité à laquelle ils devraient prétendre. Comme si le jeu n'en valait plus la chandelle.

Le cinéma autrichien tient décidément un discours bien radical à l'encontre de la société actuelle. Centrés sur l'aliénation et ses souffrances, les metteurs en scène locaux nous livrent régulièrement des œuvres sombres et désespérées, déchirant l'ordinaire. On pense à Schizophrenia de Gerald Kargl, à Benny's video de Michael Haneke. L'extrémisme des représentations flagelle le protectionnisme d'un état autrichien qui pense se suffir à lui même dans ses us et coutumes.

  (C)Ecran Noir 1996-2002