Production: Alliance Atlantis, Serendipity, Ego Film Arts, ARP
Réalisation: Atom Egoyan
Scénario: Atom Egoyan
Montage: Susan Shipton
Photo: Paul Sarossy
Musique: Mychael Danna
Durée: 115 mn
Charles Aznavour : Edouard Saroyan
Arsinée Khanjian : Ani
Christopher Plummer : David
David Alpay : Raffi
et Elias Koteas, Bruce Greenwood
Festivalcannes.org
Sur le site de B.Greenwood
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Le Génocide Arménien
 
 

Ararat

Canada / 2002 / Sortie en salle le 4 septembre 2002
Hors Compétition / Présenté le : 20.05.02

En 1934, un artiste arménien immigré à New York peint le portrait de sa mère, à partir d'une photo prise dans les années 10 dans sa terre natale.
Aujourd'hui, un metteur en scène renommé, Soroyan, réalise le film de sa vie, celui sur le Génocide Arménien.
Une conférencière va leur servir de lien; elle sait tout du peintre et sera consultante sur le film; elle en profite pour oublier son propre passé. Pourtant son fils cherche à comprendre ce qui a poussé son père à vouloir tuer un diplomate Turc. Sa fille veut savoir comment son père a disparu.
Quand le fils revient de Turquie, le douanier va l'interroger. Une dernière fois.

Ararat est le nouvel Egoyan. Un réalisateur d'origine arménienne, canadien de citoyenneté, se penche sur sa culture, son peuple. Le film lui tenait tellement à coeur qu'il a préféré le présenter hors compétition. Atom Egoyan est un fidèle du Festival, depuis la Quinzaine jusqu'aux multiples prix de The Sweet Hereafter.
Mais la vedette ici est l'Arménie. Le film a déjà suscité une forte polémique de la part de la Turquie, qualifiant le pays de second Midnight Express, film qui avait entraîné la colère des Turcs et une projection risquée à Cannes il y a plus de 20 ans. C'est la première fois que le Génocide Arménien est inclus dans le sujet principal d'un film. Cet holocauste est toujours nié par la Turquie. Pourtant un peuple entier datant du cinquième siècle (1 200 000 personnes à l'époque) ont été tuées entre 1915 et 1916, avec la Première Guerre Mondiale comme décor pour étouffer l'affaire. (Tout savoir : Site de la Licra).
Henri Vernueil avait mis en image la migration vers Marseille. Atom Egoyan avait déjà traité de ses origines à travets Next of kin (où il rencontra sa femme, l'actrice de tous ses films, Arsinée), puis Calendar, respectivement en 84 et 92. Ici, Egoyan part du plus célèbre peintre Arménien (Arshile Gorky pour sa quête identitaire. Il mélange le faux et le vrai, les paysages désolés de l'Est de la Turquie et les décors de cinéma; Charles Aznavour porte même le nom de son personnage de Tirez sur le Pianiste. Aznavour, grande soutien de la communauté Arménienne, est considéré de par le monde comme l'un des plus grands chanteurs du XXième siècle. Il a tourné une soixantdizaine de films pour la télé et le ciné.
Ararat, entièrement tourné au Canada, est le nom de la plus haute montage du Caucase (5300 mètres d'altitude), là où s'échoua l'Arche de Noé, en pleine Arménie. Dans le film, Egoyan reprend aussi le poème La danse (Siamanto), intellectuel assassiné lors du Génocide. Hitler le disait lui même à ceux qui doutaient du silence de la communauté internationale à propos des camps de concentration :"Qui se souvient de l'extermination des Arméniens?" La France est l'un des rares Etats à avoir reconnu le Génocide Arménien.

 

FANTÔMES

"- Savez-vous ce qui fait mal? Ce n'est pas d'avoir perdu nos gens, nos terres, c'est qu'on puisse nous haïr!"

Il ne s'agit pas d'une fresque historique classique; ni même d'un film politique, même s'il est un peu didactique. Ce qu'Egoyan a accompli n'est pas sa meilleure oeuvre (revoyez alors Exotica ou The Sweet Hereafter) mais bien la plus chaleureuse, la plus personnelle et la plus passionnelle.
Lorsque la pelote de laine se dénoue, on retrouve tous les fils thématiques du réalisateur. L'inceste y est évidemment présent. Il parle aussi de Dieu, de l'homosexualité (et de l'homoparentalité), des conflits générationnels. Mais cette gentille immoralité (il nous a habitué à plus d'interdits) n'est qu'un lien (souvent trop éludé) vers l'enjeu d'Ararat.
Tout s'entrelace : les personnages, le temps, les anecdotes, l'Histoire. Il est interessant de voir que les deux cinéastes Canadiens cannois ont travaillé sur le thème de la mémoire. Ce besoin de se rappeler les événements croise le désir d'exister, que ce soit avec une photo, un tableau, une langue. L'absence de reconnaissance des événements est un moyen bien plus efficace d'anéantir un peuple, qui par conséquent refuse le négationnisme. Si un individu ne peut que vivre, le peuple désire une forme d'éternité. Egoyan réalise alors une grande épopée anachronique, transfrontalière, multipliant les points de vue et les destins. Tous recherchent leur identité, le rapport à leur filiation, au père d'une part à la mère patrie d'autre part.
Ararat est splendide, frôlant à fleur de peau l'horreur de cet holocauste barbare (pléonasme appuyé) et invoquant les fantômes de ce pays. Ce n'est pas tant la perte du peuple ou de ses terres qui est pleurée, mais bien une mémoire qu'on essaie d'effacer, des souvenirs qui ne se transmettent plus avec précision. Une oeuvre résistante en quelques sortes.
Egoyan nous embarque dans ce bateau chahuté par les vagues d'émotions, de questions délicates. Tous vont aller chercher leur vérité. S'il réussit à nous fasciner par ce puzzle où chacun recolle les morceaux de sa mémoire, il est moins convainquant avec les scènes de tournage du film dans le film, qui impose une distance froide avec les reconstitutions.
Cette fausse note est rattrapée par la somptueuse et classieuse musique de Danna, et par un scénario qui nous attache à des personnages déracinés, déboussolés, même dans leur quotidien. En sentant le frémissement des fantômes, on s'interroge évidemment peu sur les causes d'une telle folie absurde. Mais il reste les survivants, et l'humanité qui avance, vers sa propre fatalité. Egoyan vient de tourner une page importante de sa filmographie.

  (C)Ecran Noir 1996-2002