Production: Les Films 13, France 2 Cinéma, Gemka
Réalisation: Claude Lelouch
Scénario: Claude Lelouch
Montage: Hélène de Luz
Photo: Pierre-William Glenn
Musique: Michel Legrand
Durée: 133 mn
Jeremy Irons : Valentin
Patricia Kaas : Jane
Thierry Lhermitte : Thierry
Alessandra Martines : François
Jean-Marie Bigard : Dr. Lamy, Pharmacien
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And now... Ladies and Gentlemen

France / 2002 / sortie en salle le 29 mai 2002
Hors Compétition/ Clôture du Festival/ Présenté le : 26.05.02

Jane ou Mademoiselle chante le blues à Paris. Elle se fait larguée par son trompettiste, qui préfère l'autre chanteuse. Jane a des absences, des trous de mémoire, quand elle embarque pour Fèz, afin d'animer un piano bar d'un palace international.
Valentin Valentin, né le jour de la Saint Valentin, fut gentleman cambrioleur, adepte du déguisement. Ayant amassé une fortune, il croise, durant l'un de ses méfaits, une jeune et jolie françaaise, avec qui il vit 8 ans. Un jour il tombe amoureux d'un bateau, et elle craque pour l'ancien propriétaire. Il part faire le tour du monde. Mais il perd connaissance et échoue à Essaouira, au Maroc.
Jane et Valentin sont dans le même pays, ont la même maladie, sont déçus de l'amour. Leur destin commun est prêt.
A partir de 4 anecdotes réelles, Lelouch brode un film inspiré de sa culture, de sa vie. Il le produit (près de 20 millions d'euros), l'écrit et le réalise. Comme d'habitude. Il n'a pas eu de films millionaires en entrées depuis Hommes Femmes Mode d'emploi. Sa dernière grande récompense est un Golden Globe pour Les Misérables. Cela fait 9 ans qu'il n'a pas touché le grand public. Son dernier opus, ultra-marketé, Une pour toutes, fut son plus gros échec depuis des lustres.
Lelouch fait ici la clôture d'un festival à qui il doit tout : la renommée, la Palme d'or pour Un Homme et une femme. 13 jours en France, documentaire sur les JO de Grenoble, ne fut pas présenté pour cause de Mai 68. Sinon il fit l'Ouverture avec L'aventure c'est l'aventure et la suite de sa Palme, 20 ans déjà; il avait déjà fermer le Festival avec A nous deux. Il goûta à la Compétition avec Jeux Olympiques de Munich (documentaire collectif), Les Uns et les Autres; enfin, Toute une vie fut sélectionné Hors Compétition. And now... est don son neuvième film présent à Cannes.
Tourné au Maroc, à Paris, à Fécamp (Normandie) et à Londres, Lelouch a inventé la Course des Courses, et n'a pas hésité à placer Accor, Hermès, Bulgari, Nokia, Royal Air Maroc, ...
Autre garantie de revenus : Patricia Kaas. Son album Piano Bar, Bande originale du Film, est rentré dans le Top des meilleures ventes d'album le 20 avril. Il est classé dans le Top 10 au moment de la sortie du film. Le disque comprend des titres français traduits en anglais comme Et maintenant (Bécaud), La mer et Que reste-t'il de nos amours (Trenet), Ne me quitte pas (Brel), Syracuse (Salvador), Avec le temps (Ferré), Les feuilles mortes (Prévert), trois nouvelles chansons composées par Michel Legrand et le classique Un homme et une femme (Lai).
C'est le premier rôle d'actrice de la chanteuse française au succès international Patricia Kaas (10 albums vendus à 14 millions d'exmplaires depuis 88). Elle avait failli être la Dietrich au cinéma, en compétition avec Ute Lemper. Face à elle, l'acteur britannique Jeremy Irons, un vétéran qui a croisé Schlöndorff, Joffé, Cronenberg, Schroeder, Soderbergh, Malle, August, Mc Tiernan, Lyne, Bertollucci, Wang, Zeffirelli... Pas mal de palmés cannois, par ailleurs.
Thierry Lhermitte est à l'affiche d'Une Affaire privée actuellement. La femme de Lelouch, Alessandra Martines fidèle à son mari depuis Tout ça pour ça, a réussi à lui échapper pour J'ai faim. Jean-Marie Bigard, énorme star sur scène, icône du slip kangourou de papa, n'a joué que dans un bon film : Lautrec. On retrouve aussi Ticky Holgado (déjà chez Lelouch dans Les Misérables et Hommes, Femmes...), Yvan Attal (réalisateur du drôlatique et adorable Ma femme est une actrice), Patrick Braoudéle boxeur Stéphane Ferrara, Souad Amidou, le loyal Charles Gérard, et même l'animatrice Daniella Lumbroso qui s'essaie au journalisme.
Pour conclure : Claudia Cardinale. Sa Palme d'Or ce fut Le Guépard. Visconti (plusieurs fois), Edwards, Leone, Gance, Verneuil, De Broca, Fellini, Ferreri, Bellocchio, Herzog, Giovanni, Kurys, Enrico, ... elle a traversé 45 ans de cinéma. On lui souhaite de conclure avec une plus belle image que les affreux cadrages et lumières de Pierre-William Glenn.

 

BONNET D'ANE

- Comment les ânes font-ils pour voir la nuit ? - C'est une bonne question.

Il ne sert à rien de tirer sur un corbillard. Involontairement Lelouch nous aura fait rire en cette fin de Festival avec son roman filmé baignant dans l'eau de rose. On ne sait pas si de l'ennui ou de la gêne, lequel finit pas succomber le premier à un réflexe expiatoire : l'hilarité. And now ...Ladies and Gentlemen s'annonçait comme un grand spectacle, il se dégonfle au bout de 20 minutes, se perdant dans des incohérences scénaristiques, des personnages sans consistance (pour ne pas dire caricaturaux) et surtout une sorte de sénilité cinématographique.
Car Lelouch se répète, se plagie, se parodie (inconsciemment), se copie. Le ridicule ne tue plus, mais le spectateur peut se lasser de ces images déjà vues, de ces poncifs déjà énoncés. Cette absence de renouvellement continue de désagréger à chaque film une carrière dont le requiem fut Les Misérables du XX ème siècle. Certes, nous n'avons plus le droit à la caméra qui tourbillonne autour d'un protagoniste, mais déjà cette signature lelouchienne semblait révolue, passée comme une photo couleur sépia.
Ce film est une sorte de collector. Il reprend les hobbies favoris de son auteur : les belles voitures (Les Misérables du XX ième siècle), la Boxe (Edith et Marcel), le bateau et son capitaine abandonné (Itinéraire d'un enfant gâté), le gentleman cambrioleur (Attention Bandits !), le mec qui est proche de la mort (Hommes, Femmes, mode d'emploi)... un recyclage qui pourrait être interprété comme une imposture cinématographique ou une obstination orgueilleuse. L'ennui guette d'autant plus que l'histoire est laborieusement amenée et le scénario prévisible dès les 20 premières minutes. Lelouch utilise des effets visuels simplistes (là encore répétés à overdose, ils perdent de leur impact) et filme pour son propre plaisir des images qui furent autrefois belles.
Alors, comme pour ne pas gâcher deux heures de son temps, il fallait bien trouver une occupation ; l'écoute des dialogues parvient à une compilation rare des citations lelouchiennes les plus drôles.
Les dialogues relèvent en effet de l'anthologie. Entre le zinc du bistro du coin et les commentaires lus dans les horoscopes, ce florilège de lieux communs, de pensée populiste et de croyance bas de gamme nous pousse à la moquerie. Quand ce n'est pas le malaise des mauvais jeux de mots ("Je t'offrais la vie en rose et tu as choisi la vie en noire"). Les grandes questions existentielles sont réduites à des slogans philosophiques vulgarisés ("Comment rembourse-t-on l'amour ?"). Ou carrément à du placement produit (Accor, Hermès, ...). Un vrai marchand de tapis que ce cinéaste qui nous transforme son film en publicités tapageuses.
On ne peut pas dire qu'il ait été inspiré. Son film débute avec une démonstration inutile du jeu dramatique de Patricia Kaas. Comme dans "La Belle Histoire", la scène se répétera pour qu'on puisse comprendre chronologiquement où elle se situait. Cette démo est vaine car la chanteuse de blues devient chanteuse tout court, pendant une longue partie de ce film-karaoké où les mots deviennent des passerelles vers des chansons ("La mer... et hop on vous fredonne Trénet!). Le summum est atteint avec lourdeur quand Lelouch pointe sa caméra sur un homme, une femme, et finalement Kaas susurrant "cha ba da ba da, un homme, une femme...". C'est l'authenticité selon l'auteur : un produit factice. Kaas s'en sort plutôt bien comparé à Irons, complètement ridiculisé : tantôt grimé en vieille dame ou en hippie, tantôt homme d'action, le pauvre comédien se voit humilié dans des séquences pitoyables qui le rendent plus étranger au film que son accent. Il est là en vedette américaine d'une chanteuse de piano bar (évitez le disque aux arrangements obsolètes). Pour le reste, cela va du bon (Thierry Lhermitte, Amidou) au pire (Attal coupé au montage, Bigard lamentable et mauvais).
Tous les films de Lelouch reposent sur un élément clé : le besoin d'y croire. Avec une photo aussi laide (Claudia Cardinale devrait porter plainte pour destruction visuelle de son visage), une musique aussi ringarde, et un script aussi adolescent, le vieux monsieur qui nous avait éblouit il y a 15,20, 30 ans nous entraîne dans un spectacle où nous masquons notre pitié par l'ironie.
Le monde de Lelouch est un monde de rêves à bon marché, sans aucun sens des réalités : le tour du monde, les joailleries, les belles bagnoles, les pays exotiques, les personnages aventuriers (même la femme de chambre est un peu détective) aux noms romanesques (Jane pour une française, Valentin Valentin pour un anglais)... Il faut être riche ou chanceux (les riches étant sauvés par la science, les pauvres par un miracle). Il n'y a pas de place pour les malheureux ni les marginaux. Conservateur, le cinéma de Lelouch s'enfonce dans un gouffre financier pour illustrer des sentiments mysogines d'adolescents romantiques. "A votre avis, c'est grave?"
"Une chance sur 10." dirait le Docteur Lamy. Et s'il s'en sort, qu'il vienne nous rembourser la place !

  (C)Ecran Noir 1996-2002