Production: Les Films Alain Sarde, StudioCanal, Thin Man Films
Réalisation: Mike Leigh
Scénario: Mike Leigh
Montage: Lesley Walker
Photo: Dick Pope
Musique: Andrew Dickson
Durée: 128 mn
Timothy Spall : Phil
Lesley Manville : Penny
Ruth Sheen : Maureen
Sally Hawkins : Samantha
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Secrets et Mensonges (Palme d'Or 96)
 
 

All or Nothing

Royaume Uni / 2002 / Sortie en salle le 13 novembre 2002
Sélection Officielle / Présenté le : 17.05.02

Phil se sent seul chez lui, dans son taxi, dans sa tête. La mort et puis avant?
La femme qu'il aime, Penny, gueule après tout le monde, gère ce quotidien difficile, n'en peut plus de ne plus profiter de la vie.
Leur amour s'est tari. Leur fille Rachel ne dit jamais rien et subit sa vie. Leur fils Rory se complait dans son obésité et sa fainéantise.
Autour d'eux il y a Maureen qui a la pêche, sa fille Donna qui prend des marrons, le collègue Ron et sa femme alcoolo Caroll, leur fille allumeuse Samantha... Les uns alignent les petits boulots pour survivre. Les autres attendent le néant.

En 1971, Mike Leigh entrait par la grande porte du 7ème Art : Bleak Moments fut gagnant à Locarno et au Festival de Chicago. Depuis 1988, sa carrière s'accélère. Invité et souvent primé dans les Festivals, ses interprètes sont aussi souvent récompensés. Sa méthode est au confluant de l'improvisation des comédiens et de scénarii très dialogués. En 1993, Mike Leigh est consacré une première fois avec l'excellent Naked, son premier film à Cannes, où il s'habille d'un prix de la mise en scène et donne à David Thewlis un prix d'interprétation (le premier d'une longue série). Mais le meilleur reste à venir. Son film suivant est aussi retenu pour la Compétition Officielle cannoise. Il emballe critiques, public et jury et rafle à Lars Von Trier (Breaking the Waves semblait le favori) la prestigieuse Palme d'Or. Il sera membre du jury du 50ème Festival de Cannes.
All or Nothing, produit par Sarde (Lynch, Téchiné, ...), est par conséquent son troisième film en lice pour la Palme d'Or. Cette année, le cinéma britannique est omniprésent, toutes sélections confondues. Leigh retrouve son comédien fétiche, Timothy Spall, pour la sixième fois. On l'a aussi vu chez Cameron Crowe (Vanilla Sky), Patrice Chéreau (Intimité) et Kenneth Branagh.
L'actrice Lesley Manville n'est pas non plus une novice chez Leigh avec 4 films à son actif. La plupart des comédiens avait déjà expérimenté le petit bonhomme barbu.
Le film a couté 10 millions d'euros et se positionne pour les Oscars en sortant cet automne aux USA.

 

CHAOS

"- T'es chaude, froide; comme un robinet à la con!"

Avec une évidence rare, une histoire simple, et des personnages normaux, Mike Leigh nous donne tout, pour notre plus grand bonheur. Nous recevrons ainsi une leçon d'existentialisme et une philosophie de vie, avec un équilibre subtil et intelligent, notre dose de rires et de larmes. Cette pression permanente où les hauts succèdent - ou se confondent - au bas ressemblent terriblement à la vie.
Au milieu de cette misère de l'Homme, il y a des adultes qui ne savent plus rêver, qui glissent sans bruit de leur vie ratée vers la mort fatale, des "oubliés" qui cumulent les boulots et les tracas. Et il y a les enfants qui désespèrent bien plus, ne voulant pas suivre ce modèle et voyant leur désir d'absolu inatteignable. Entre les deux mondes, une série de relations conflictuelles pour des gens qui ne savent plus communiquer. Le langage est par ailleurs intéressant. Ce dialecte londonnien où chaque gros mot est banal et exprime une haine de soi renvoyée à l'autre, où les mots sont déformés par un accent grossier. Le personnage de Phil n'est même jamais sûr des mots qu'il utilise dès qu'ils sont compliqués. Cela explique les relations verbales au service minimum et la difficulté à exprimer leurs sentiments.
Dans ce monde sans espoir, sans foi, respectivement athée et socialement précaire, Mike Leigh dépeint l'humiliation faîte aux autres comme le seul recours pour pouvoir exister. Pathétiquement, on voit les filles se soumettre à leur destin, similaire à celui de leur mère. Il n'y a pas de changement de condition possible, à moins de gagner à la loterie. Cette impasse les use. Mike Leigh les pousse à leurs extrêmes pour les obliger à réagir.
Par une drôle de journée, ceux qui s'en sortiront auront un éclair de lucidité. Le cinéaste manie alors le chaud et le froid, la légèreté et le drame, avec une passagère française un peu chieuse et un enfant au bord de la mort. De là, il délivre la dernière partie de son film, de loin la plus belle, même si elle ralentit un peu l'ensemble. Il va fouiller profondément dans leur conscience cette solution qui nous fait vivre : l'amour - le seul absolu accessible à tous, le seul lien qui nous permet de tenir face à notre inutilité, de nous affranchir du quotidien insupportable. Par sa sensibilité et la forte crédibilité de ses personnages, cette scène cruciale, possède une force libératrice qui s'achève sur une intimité douce et bénéfique.
Cet amour va unir la communauté par solidarité, la famille par nécessité et le couple par complicité, cet amour sera le secret le mieux gardé du film. Il illuminera ce qui semblait être au début un couloir vers la mort. La guérison est proche. C'est une belle journée.

  (C)Ecran Noir 1996-2002