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   spécial Cannes
 
 
 
Réalisation : Elias Merhige (Begotten)
Production : Nicolas Cage et Jeff Levine
Scénario : Steven Katz
Photo : Elias Merhige
Montage : Chris Wyatt
Décors : Assheton Gorton
(93 minutes)

Interprétation:
John Malkovich : Friedrich Wilhelm Murnau
Max Schreck : Willem Dafoe
Cary Elwes : Wagner
Catherine McCormack : Greta
Eddie Izzard : Gustav Van Wangenheim.

*** Liens : ***
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 Shadow of the vampire
2000 / USA - Royaume Unis / Quinzaine des réalisateurs / Projeté le 16 mai 2000 / Sortie le 22 novembre 2000
 
1921. Quelque part en Europe de l'Est. Le réalisateur allemand Friedrich Wilhem Murnau vient d'entreprendre le tournage, en décors naturels, de Nosferatu, un film de vampires inspiré du « Dracula » de Bram Stoker.
Perfectionniste et pionnier du cinéma, Murnau fait appel à Max Schreck pour tenir le rôle principal, celui du terrifiant Comte Orlock. Les membres de l'équipe du film, déroutés et effrayés par l'attitude et les méthodes du « comédien », se prêtent de plus ou moins bonne grâce à ses étranges facéties...
 
 
Fritz Lang, Georg Wilhem Pabst et Friedrich Wilhelm Murnau, formaient le triumvirat de l'âge d'or du cinéma allemand, dans les années 20. Murnau était un poète doublé d'un visionnaire; le succès l'amena jusqu'aux collines de Hollywood, mais le rapprocha aussi de la mort, qui survint dans un accident de voiture en 1931, alors qu'il avait 42 ans. F.W. Murnau (de son vrai nom Friedrich Wilhelm Plumpe) était un innovateur-né qui s'ingéniait infatigablement à créer des images poignantes et d'une grande beauté. Fasciné par le surnaturel, il cherchait constamment à brouiller les frontières entre le réel et l'irréel. Son but ultime était que le cinéma ait un langage propre. Dans ses films, le moindre plan est motivé: une manière de partager avec le spectateur son mépris du trucage facile.
L'univers pictural de Murnau, historien de formation, découlait de différents mouvements artistiques comme le romantisme, l'impressionnisme ou l'expressionnisme allemand. Sa collaboration suivie avec le chef opérateur Karl Freund a donné naissance à certaines des plus belles images de l'histoire du cinéma. Nosferatu est sans doute l'une de ses meilleures oeuvres, et le Comte Orlock joué par Max Schreck, l'un des personnages les plus marquant du Septième Art. Le regard du Comte Orlock, entouré d'un cercle de suie, exprime la plus intense des solitudes, un désespoir enfiévré qui lui donne l'air de sortir directement d'une toile d'Edvard Munch.
NOSFERATU est basé sur le roman de Bram Stoker, « Dracula ». Le titre et le nom du personnage ont été modifiés, car la veuve de Stoker avait estimé que l'adaptation de Murnau trahissait le roman. De manière fort ironique, c'est le succès de NOSFERATU qui fit vivre les écrits de Stoker. L'oeuvre de Murnau inspira des dizaines d'autres films, parmi lesquels la version de NOSFERATU signée Werner Herzog en 1979, avec Klaus Kinski.
L'histoire de NOSFERATU commence à Brême en 1838. Assoiffé de sang humain, le comte Orlock a confié à un agent immobilier le soin de lui trouver un logement en ville. L'agent envoie son clerc, Jonathan Hutter, en Transylvanie, où réside le comte, afin de régler l'affaire.
Les plans sur le navire restent gravés dans les mémoires. Dans la cale repose une cargaison de cercueils remplis d'une terre souillée par la peste du cimetière. Les membres de l'équipage tombent malades et meurent un à un. Un matelot donne un coup de hache dans l'un des cercueils d'où s'échappent des rats grouillants. A ce moment le comte se dresse, rigide et effrayant, de l'un des cercueils. Un plan terrifiant, inconcevable d'horreur à l'époque... Le bateau arrive finalement au port sans équipage...
La plus grande partie du film de Murnau a été tournée avec des jeux d'ombres. Les côtés de l'image ont été plus utilisés que d'ordinaire : c'est là que les personnages se tapissent, se recroquevillent. C'est une règle de composition cinématographique qui veut que la tension s'exacerbe dès lors que le personnage est légèrement décadré.
Les effets spéciaux de Murnau ajoutent à l'atmosphère inquiétante : les mouvements accélérés du serviteur d'Orlock, la disparition de la diligence fantôme, l'apparition du comte , comme surgi de nulle part, et l'utilisation de l'image en négatif qui noircit le ciel et blanchit le paysage. Le film comporte l'un des cartons les plus célèbres du cinéma muet: « Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre », sublime appel à l'imaginaire qui fascina des générations de cinéphiles. Quintessence du romantisme allemand, ce carton mythique allie, dans ce passage de l'autre côté du miroir, une allégorie de la mort à une parabole sur le cinéma.
NOSFERATU est considéré comme la pierre de touche de l'expressionnisme allemand. L'utilisation de lieux réels et de décors stylisés en fait un classique de l'âge d'or du cinéma d'outre-Rhin. Bien que le Dracula pitoyable incarné par Max Schreck se trouve aux antipodes de la suavité séduisante d'un Bela Lugosi, il émane de NOSFERATU un alanguissement quasi-érotique. L'historienne du cinéma Lotte Eisner verra dans NOSFERATU une expression de l'homosexualité tourmentée et de l'aliénation de Murnau. Et pourtant, NOSFERATU reste un film profondément empreint de romantisme, marqué d'une inébranlable foi dans le pouvoir rédempteur de l'amour, thème récurrent dans l'oeuvre de Murnau.
Mais, cette SYMPHONIE DE L'HORREUR (sous titre de NOSFERATU) prend sa pleine signification quand on la resitue dans le climat qui voit naître le film, celui d'une Allemagne encore rongée par la défaite, en proie à toutes les incertitudes, morales, politiques et économiques. Les rats peuvent se multiplier et les tyrans sortir de leur retraite tel le comte Orlock. Ceux-ci ne manqueront d'ailleurs pas de le faire dans la réalité avec un étrange synchronisme, conférant à NOSFERATU une aura particulière et des résonances fortement symboliques.

Murnau a réalisé vingt-deux films, mais reste principalement connu pour les chefs-d'oeuvre que sont NOSFERATU (1921), LE DERNIER DES HOMMES (1924), avec Emil Jannings dans le rôle d'un portier d'hôtel détruit par la perte de son emploi, et L'AURORE (1927), qui permit à Janet Gaynor de remporter l'Oscar de la Meilleure Actrice dans le rôle d'une femme que son mari cherche à assassiner. Murnau décédera quelques jours avant la première de son dernier film, TABOU (1931).

MAX SCHRECK, UN INTERPRETE DE LEGENDE:
Max Schreck est né à Berlin en 1879. Très présent au théâtre, en particulier à Munich et à Berlin, il est apparu dans près de cinquante films, dont le NOSFERATU de Murnau. Sa prestation dans ce rôle de vampire restera éternellement attachée à son nom, surtout à l'étranger où on a longtemps cru qu'il s'agissait d'un pseudonyme (« Schreck » signifie en effet « effroi » en allemand). En Allemagne, Max Schreck est connu pour sa participation à L'ALCADE DE ZALA MEA (L. Berger, 1920), LA RUE (K. Grüne, 1923), LE MARCHAND DE VENISE (P.P. Felner, 1923) ou encore LES FINANCES DU GRAND DUC, pour lequel il retrouve Murnau en 1924. Max Schreck est décédé d'une crise cardiaque en 1936, à Munich, à l'âge de 57 ans.
La qualité de son interprétation du Comte Orlock suscita à l'époque les rumeurs les plus folles, les plus délirantes: Murnau aurait tenu lui-même le rôle du vampire, l'acteur serait mort avant le tournage, il s'agirait même peut-être d'un véritable vampire...

L'EXPRESSIONNISME EN QUELQUES DATES:
Le mouvement expressionniste qui affirmait un art paroxystique et révolté, fut principalement allemand. Il marqua profondément la peinture, la littérature et le théâtre outre-Rhin entre 1908 et 1918. Sa rencontre avec le cinéma, brève et tardive, se produisit alors que naissait la République de Weimar (1919) et que le pays, humilié par la défaite de la Première guerre mondiale, politiquement déçu, en proie à une inflation galopante, avait perdu ses repères. Produit de l'angoisse et du repli, le cinéma expressionniste fuyait toute représentation réaliste, sans refuser pour autant figuration et narration. Conçu à l'abri du monde, à la lumière exclusive du studio, il se complaisait dans l'exaspération des formes et des contrastes, dans la déréalisation des décors et des personnages, pour bâtir un monde d'artifices à la limite de l'abstraction.
(Extrait de « Ecoles, genres et mouvements au cinéma », de Vincent Pinel.)

1905 : Le peintre Ernst-Ludwig Kirchner fonde, à Dresde, le groupe artistique Die Brücke (« Le Pont »). Die Brücke répond, en Allemagne, au mouvement pictural qui est en train d'essaimer l'EUROPE (Munch en Norvège, Soutine et Chagall en France, Auberjonois en Suisse, Sluyters aux Pays-Bas, voire Segall et Portinari au Brésil) appelé expressionnisme, et qui a subi, de près ou de loin, l'influence d'écrivains tels que Kafka - angoisse de l'individu devant la force d'agression des autres- ou Rilke - obsession de la mort, impuissance à être.

1912 : Les peintres Kandisky, Klee et Marc constituent le groupe Der blaue Reiter (« Le cavalier bleu ») à Munich.

1913: Le danois Stellan Dye réalise L'ETUDIANT DE PRAGUE, que l'on considère aujourd'hui comme le premier film expressionniste, qui raconte l'histoire d'un dédoublement de l'âme, un thème cher aux romantiques allemands. Henrik Galeen en réalise le remake en 1926. Max Reinhardt s'essaie au cinéma avec L'ILE DES BIENHEUREUX. L'influence du célèbre metteur en scène du Deutches Theater de Berlin sera énorme sur les futurs tenants du courant expressionniste allemand au cinéma tels que Muranu, Leni et Weneger, mais aussi sur des cinéastes comme Ernst Lubitsch ou William Dieterle, qui fut également acteur dans LE CABINET DES FIGURES DE CIRE et FAUST.

1914 : Réalisation de GOLEM de Paul Wegener, acteur formé à l'école de Max Reinhardt et passé derrière la caméra. Wegener réalise une seconde version du GOLEM en 1920.

1919 : Robert Wiene réalise LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI, directement influencé par les recherches picturales des groupes Die Brücke et Des Blaue Reiter. Ce film , extraordinaire recherche esthétique sur la lumière et les décors , est considéré comme l'un des sommets de expressionnisme.

1920 : DE L'AUBE A MINUIT de Karl Heinz Martin, fait reposer tout le film sur des effets graphiques en sorte que les êtres humains ne sont plus vus comme tels. Le film avait été terminé avant LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI mais ne fut pas montré en Allemagne.
ALGOL de Hans Werckmeister.
TORGUS de Hanns Kobe.

1921: NOSFERATU, de F.W. Murnau, voit le genre sortir des studios pour se confronter au réalisme des décors naturels.

1923 : LE MONTREUR D'OMBRES de Arthur Robinson.
RASKOLINIKOV de Robert Wiene.

1924 : LE CABINET DES FIGURES DE CIRE de Paul Leni, autre référence du mouvement expressionniste et qui annonce un film comme IVAN LE TERRIBLE de S.M. Eisenstein.
LES MAINS D'ORLAC de Robert Wiene.

1926 : FAUST de F. W. Murnau

1927 : METROPOLIS de Fritz Lang, considéré aujourd'hui , à l'instar de NOSFERATU, comme une prémonition de la montée nazie en Allemagne. Fritz Lang ne s'est cependant jamais considéré comme un expressionniste.

1932 : L'ATLANTIDE de G. W. Pabst, d'après le roman de Pierre Benoist et remake du film de Jacques Feyder (1921), est encore très influencé par expressionnisme au travers de décors oniriques signés Ernö Metzner et d'un gigantesque travail sur les jeux d'ombres et de lumières.

1933 : Dans LE TESTAMENT DU DOCTEUR MABUSE de Fritz Lang, se reflète encore certaines singularités de expressionnisme, mais le mouvement a vécu.

Par la suite, l'influence de expressionnisme reste encore un moment sensible en Union Soviétique. On en retrouve le trace dans les éclairages et les cadrages du cinéma noir américain des années 40-50, chez Robert Siodmak, Samuel Fuller ou Orson Welles. En 1990, le plasticien et metteur en scène de théâtre Peter Sellars réalise LE CABINET DU DOCTEUR RAMIREA, hommage au film de Robert Wiene, tourné sans dialogue.

 
SUCEUR NÉ.

« Nous sommes des scientifiques engagés dans la création de la mémoire, et cette mémoire ne s'effacera pas. »

L'Ombre du Vampire retrace l'histoire du tournage du mythique film de Murnau, qui inspirera plus tard le Nosferatu de Werner Herzog. Le film est une grosse production et on le voit tout de suite: générique luxueux, images léchées, casting impressionnant... Quand au scénario, si l'on s'attend de prime abord à une banale chronique de tournage, on est vite agréablement surpris, puisque le film ne se contente pas d'un simple compte rendu et qu'il nous fait vite plonger subtilement dans les abîmes du fantastique. Alternant images en noir et blanc (pour montrer ce que Murnau voit à travers sa caméra), et images en couleurs, fiction et réalité, humour et angoisse, le film nous fait aller de surprises en surprises. Et nos rires succèdent à nos frémissements, car le film ne laisse aucun instant de répit à ses spectateurs. Et c'est tant mieux! Il faut aussi dire que la qualité du film doit beaucoup à son casting: Malkovitch incarne à merveille Murnau, un réalisateur fou, homosexuel, drogué et entièrement dévoué à son art. A tel point qu'il est prêt à sacrifier tous ceux qui l'entourent pour que son projet aboutisse. Malkovitch a su apporter le cynisme nécessaire pour que son personnage soit crédible. Et que dire de Willem Dafoe, éblouissant dans son rôle de Max Schreck. Hideux à souhait, inquiétant, hilarant, caricatural, Dafoe utilise toutes les facettes de son talent pour donner vie à un héros bien ambigu. Sans oublier l'inimitable accent allemand dont il s'est affublé et qui renforce encore l'aspect inquiétant de l'acteur vampire. Commençant de façon très conventionnelle, le film évolue à chaque instant vers un absurde sans borne et vous vous délecterez sans aucun doute de la scène finale, digne des plus grands films d'épouvante. Même si l'horreur et le fantastique restent subtiles, et ne sont jamais clairement exprimés, et c'est peut-être une des autres forces du film: l'angoisse ne monte que par ce qui n'est pas clairement exprimé, et la surprise est maîtresse de l'horreur.

Delphine  

 
 
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