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   spécial Cannes
 
 
 
Réalisation : Kristian Levring
Scénario : Kristian Levring et Thomas Anders Jensen
Image: Jens Schlosser
Montage : Nick Wyman Harris
Production: Patricia Kruijer et Vibeke Windelov
Durée: 1 heure 50

Interprétation:
Jennifer Jason Leigh (Gina)
Miles Anderson (Jack)
Romane Bohringer (Catherine)
David Bradley (Henry)
Janet McTeer (Liz)
 

 The King is alive
2000 / Danemark / Projection à Cannes le 11 mai / Film en compétition dans la sélection Un certain regard
 
Onze passagers d’un car se retrouvent bloqués dans le désert africain. Réfugiés dans les ruines d’une ville abandonnée, ils ont tout juste de quoi survivre quelques jours. Pour lutter contre leur peur, ils décident de monter le Roi Lear ; mais la pièce, au lieu de divertir ces naufragés du désert, exacerbe tensions, rivalités et désirs sexuels. Très vite, chacun se voit confronté à ses besoins les plus primaires…
 
 
Difficile d’ignorer qu’il s’agit d’un film du Dogme:
toute projection de «The King is alive » est précédée d’une confirmation officielle, assurant que le film a bien été réalisé selon les règles de Dogma 95, le fameux «Vœu de chasteté » prononcé par quatre réalisateurs danois. Kristian Levring est le dernier du lot à présenter un film issu de cet élan de purification, après Lars Von Trier («Les Idiots »), Thomas Vinterberg («Festen ») et Kragh Jacobsen («Mifune »).

Réalisateur de spots publicitaires, Kristian Levring suit donc à la lettre les dix commandements de la charte danoise, dont les plus connus sont l’utilisation de la caméra à l’épaule et le refus de tout artifice (lumière, couleur, décors, maquillage, accessoires..). Comme l’explique le réalisateur, «il s’agit de dépouiller le cinéma actuel de tous ses aspects artificiels. Il s’agit de revenir à l’essence du fictif ». Le scénario de son film se prête il est vrai fort bien aux règles du Dogme, plongeant onze bipèdes dans le désert africain. Difficile de faire plus dépouillé…

Le film est tourné à Kolmanskop, une ville minière de Namibie, à l’aide de trois caméras digitales qui suivent onze comédiens vierges de toute expérience Dogma. Américains (Jennifer Jason Leigh, Bruce Davidson), Anglais (Janet McTeer, David Bradley), Africains (Peter Kubheka, Vusi Kuhene) composent l’essentiel du casting, aux côtés de la frenchie Romane Bohringer.

 
King Lear, fou du désert

«Ils venaient du désert Ils avaient peur Ils n’ont jamais cessé d’avoir peur »

Onze bipèdes dans un car, une boussole défectueuse, 800 kilomètres de détour et trois minutes pour sentir la peur suinter chez ces touristes égarés. Le cadre est fixé, le drame peut commencer. Comme chez Shakespeare, le chœur introduit les différents actes, en la personne de Kunana, vieil ermite du désert. Au fil des jours (des scènes), la tension monte, les trahisons se multiplient, les assassinats se préparent et le désespoir gagne, à l’image des meilleures pièces du maître anglais.

Si «King is alive » est efficace, ce n’est pas seulement parce qu’il établit un parallèle passionnant avec «Le Roi Lear », mais aussi parce qu’il raconte une histoire faite pour les règles du Dogme : comme ses héros perdus au beau milieu du désert, Kristian Levring n’utilise que ce qu’il trouve sur place : une ville abandonnée pour décor, quelques bouts de bois et de tôle pour accessoires, la lumière crue du soleil pour éclairage et onze acteurs, filmés au jour le jour, brûlés par le soleil.

Le casting, international, n’a rien d’artificiel : comme dans tout voyage, les nationalités se mêlent, des couples se forment et d’autres se défont. Réduits à leurs besoins les plus primaires, ces prisonniers du désert se découvrent autant qu’ils se révèlent, conduits aux actes les plus bas, corruption ou assassinat. Pour autant, les règles classiques de la vie en groupe sont habilement détournées par Kristian Levring : très vite, un chef se détache du groupe, mais il meurt aussitôt. Quant aux unions de fortune crées par la situation, elles sont au mieux désespérées, au pire vicieuses, de simples tensions sexuelles brutalement assouvies.

La qualité de jeu des onze acteurs est pour beaucoup dans la réussite du film. Mention particulière aux femmes, qui révèlent une rare intensité. Romane Bohringer, tout en silence et en jalousie contenue, dévoile une nouvelle facette de son jeu ; Jennifer Jason Leigh est simplement parfaite dans un rôle de jolie pépée plus cynique qu’il n’y paraît, et Janet McTeer s’impose décidément comme une actrice bouleversante, méconnaissable depuis le «Tumbleweeds » qui l’a révélée.

Oublions donc l’étiquette "Dogme" de «The King is alive », pour se concentrer sur la qualité intrinsèque de ce film, aussi fort que brillant.

Mathilde 

 
 
   (C) Ecran Noir 1996-2000