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   spécial Cannes
 
LES DESTINEES

Ce sera difficile pour le jury (féminin) de choisir la meilleure actrice des films en compétition. Depuis le début du Festival, et en attendant Bjork, Deneuve, Basinger, Béart, Binoche, Summer Phoenix, ou encore Maggie Cheung, les femmes sont les stars des scénarii, et les obsessions de l'inspiration des cinéastes. Hormis Tabou, d'Oshima, qui a un " penchant " plutôt pour les hommes (androgynes).
Elles ne sont pas toujours au premier plan. Dans Harry un ami qui nous veut du bien, Mathilde Seigner campe une mère de 3 gamines, totalement middle-class et plutôt hargneuse avec sa belle-mère intolérante. Pas sexy pour un sou, comparée à Sophie Guillemin, adorable poufiasse gonflée à bloc niveaux pare-chocs, utilisée comme une vulgaire poupée qui dit oui, oui, oui.
Poupée de Cyr ou de Saint, Isabelle Huppert est au coeur de batailles sentimentales, de guerre passionnelle à la cour du Roi et ses alentours militaires. Une femme au milieu d'hommes en uniformes (fantasme toujours en vogue), c'est aussi le cas dans Capitaines d'Avril. Ave Maria. Le personnage de Medeiros n'est qu'un symbole de la femme portugaise, loin de l'imagerie d'Epinal type Linda de Suza, où elles revendiquent ce que toutes subissent de nos jours.
Il doit être bien gênant de faire palpiter son coeur sous des seins emprisonnés par des corsets trop serrés. Les femmes au temps de Vatelavaient du mal à respirer... Les hommes, remarquez, en voyant de tel décolletés, devaient souffrir pour rester zen. Uma Thurman inspire des pensées cochonnes au cuisinier solitaire Vatel. Deux siècles plus tard, chez Ivory, elle fait tourner la tête d'un Prince italien. Qui résisterait à la blonde glaciale de Gattaca ? The Golden Bowl offre un double portrait de femme captivant : la nunuche brunette et très fille à papa, et son amie, libre, enflammée, la cocufiant.
De ces pactes entre louves, se fait la paix des ménages, à défaut de nous avoir secouer les méninges.
La dualité féminine on la retrouve aussi dans le Ken Loach : deux soeurs, avec un parcours de vie différent. L'aînée ne distinguant plus le bien et le mal, la prostitution et la dénonciation. La plus jeune, idéaliste, spontanée, un peu inconsciente. Ces roses ont surtout des épines...

 
 

Si le sexe est peu présent sur grands écrans - on repassera pour faire notre actualisation du Kamasutra, y compris du côté d'Oshima - il fait cependant des ravages.
Lâche ou torride, l'infidélité mérite d'être filmée, et, que ce soit chez Ivory ou Ullman, les maîtresses ont les larmes aux yeux. Post coïtum - animal triste. Bergman a imaginé une femme belle et désirable, au sein d'une tragédie où les corps nus ne sont que fades. Femme mélancolique, regardant la mer et son horizon infini (et déprimant) ou femme perdue, cherchant l'amour de son enfance et ses repères (La Noce), elles sont victimes et accusées ; victime de leurs pêchés, et accusées de les attirer. Dans Guizi Lai le, la femme essaie de sauver son honneur, tandis que la tante joue les Thénardier. Chez Aronofsky, la jeune fille va jusqu'à baiser en public (hard core le " dildo " à deux côtés) et sa belle-mère devient accrocs aux emphés (ça fait maigrir mais ça rend givré).
Pas beau à voir donc. Rares sont les femmes épanouies, et encore plus rares sont les hommes les rendant heureuses (c'est peut-être lié).
La Nurse Betty tombe amoureuse d'un personnage d'un soap opéra, préférant les sirupeux dialogues au sanglant assassinat de son con de mari. La brochette gynécologique de Things you can tell expose très bien les névroses, frustrations, solitudes, dégueulasseries vécues par les femmes aux USA ; elles ont toutes besoin de rêver, d'aimer, d'être aimées, avant le big pétage de plombs prévisible. La femme moderne a réussi son émancipation, beaucoup moins son indépendance. Obscur objet du désir ou sens du plaisir ? Les femmes comme simple nourriture sexuelle pour les mâles ?
Dans le film de Kollek, les femmes ne sont ni trop belles, ni pudiques, elles sont humaines, généreuses, voluptueuses. Au delà des beaux lolos confortables d'Anna Thomson, il y a un coeur gros comme ça.
Une pute bègue, une salope qui assouvit par bonté nos fantasmes, une vieille qui cherche de l'affection, et Anna Thomson, " Bella de jour " - qui veut le grand amour et des enfants et des animaux et toujours servir ses clients au café - qui se fait abusé par un mec marié indécis. Vit-on sur la même planète ?
Les hommes sont peut-être de Mars et les femmes de Vénus, mais n'oublions pas que nous nous rencontrons sur Terre, entre les deux. Et que nos destinées s'y croisent là, sentimentales ou pas.

Leçon de cinéma

Si beaucoup de réalisateurs envisagent le Festival de Cannes comme une épreuve plus qu’une partie de plaisir, c’est parce qu’ils doivent s’y soumettre à un exercice délicat : la conférence de presse, donnée immédiatement après la projection de leur film. Jetés dans l’arène, ils affrontent des journalistes à peine remis de leurs émotions, dont dépend justement la tournure de la traditionnelle séance de questions/réponses. Au mieux, on y redit ce que chacun a déjà lu dans le dossier de presse du film, au pire, l’échange tourne au pugilat ; on se rappelle encore les dérapages de la conférence d’ «Assassins » il y a trois ans. Dans tous les cas, il est fort rare qu’on y aborde les vrais questions qui font le cinéma, celles qui permettent de comprendre le lent cheminement d’un cinéaste jusqu’à son Ïuvre filmée.

Olivier Assayas nous a offert ce matin l’exception qui confirme la règle : que l’on ait aimé ou non «Les Destinées Sentimentales », on ne pouvait qu’être sensible à l’analyse qu’il livra de son film.
Adaptation, préparation, reconstitution, montage financier, tournage et post-production, il commenta avec passion et intelligence les étapes de la création, dans ce cas précis particulièrement riches. Il suffit de savoir que le scénario date de 1995 pour comprendre le marathon que fut la construction de ce film, dont la première copie n’est prête que depuis deux jours ! Un classique dans l’histoire du Festival, qui oblige nombre de réalisateurs à «se détruire la santé » pour finir leur film dans les temps.

C’est avec la difficile question de l’adaptation qu’Olivier Assayas s’est montré le plus pertinent, lui qui a tiré un film de trois heures d’un roman-triptyque de 700 pages...Convaincu que la transposition d’un texte se doit d’être fidèle au style du roman (la mode est plutôt au massacre ces temps-ci), il a expliqué s'être concentré sur les subtilités de l’écriture de Chardonne, dont il a tiré l’essentiel de ses dialogues.

 
 
 

Ancien critique, Olivier Assayas a également évoqué la difficulté de se défaire d’une culture cinématographique susceptible d'influencer son travail de reconstitution. Il est vrai que l’image que nous nous faisons du passé est beaucoup inspirée de films d’époque, esthétiquement superbes mais parfois bien loin de la réalité. Ennemi des références, Olivier Assayas a donc préféré s’imprégner d’une matière concrète (paysages, maisons, objets..) pour « habiter » son monde. Un vrai «travail de maniaque », réalisé avec son équipe technique.

On apprit enfin quelques unes des ficelles financières du métier, cette étape terrible où se décide la vie ou la mort d’un film, parfois étouffé dans l’Ïuf. Un seul nom suffit la plupart du temps à emporter l’adhésion des investisseurs : en cumulant Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart et Charles Berling, Olivier Assayas a mis toutes les chances de son côté : en 1998, le film était définitivement lancé.

Technique, humaine et intellectuelle, c’est une leçon de cinéma des plus complètes à laquelle nous avons assisté, une conférence de presse comme on aimerait en voir plus souventÉ

   
 
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