1994
Pulp Fiction
de Quentin Tarantino
(E.Unis)

Gros plan sur l'année 1994
Les Prix et Jurys

Gangsters Postmodernes.
Audacieux et complexe, inventif et ludique Pulp Fiction a fait craqué le jury de Cannes, sans doute à l'affut de la prochaine vague cinématographique. On comprend facilement l'attrait qu'un tel film a pu avoir lors de son exposition en Europe ou l'on est toujours friand, comme on le sait, de films exploitant et critiquant, tout à la fois, le rêve américain. Un contrat que Quentin Tarantino rempli avec flair puisque son deuxième long métrage présente aux spectateurs un exposé philosophique discourant avec humour et jubilation cynique sur la vacuité de la culture américaine tout en ayant l'allure d'un film de gangsters postmoderne.

Ainsi, d'un côté, le film en met plein la vue:
Références à la littérature et au cinéma pulp de l'après-guerre, notamment The Maltese Falcon et Kiss Me Deadly, exploitation nostalgique de la culture pop des années 70, dont John Travolta est le plus fier repésentant dans le film, moult fusillades inspirées du cinéma hyperkinétique de John Woo, des dialogues stylisés et musicaux à faire palir d'envie David Mamet, une trame musicale projetant à l'avant de la scène des succès rétros aux rythmes irrésistibles (une pratique qu'affectionne depuis longtemps Martin Scorsese) et un rythme soutenu qui nous garde en haleine et comme gaga de bonheur. Mais il y a plus. Oui, oui. En y regardant de plus près, on se rend compte que le vernis du film sert d'écran au discours intellectuel de son scénariste-réalisateur. Déjà, en fragmentant et restructurant le récit à la façon d'un film à sketches inter-dépendants, le cinéaste trahit ses intentions postmodernes: il invite le spectateur à reconstruire l'histoire de ses personnages et à déchiffrer le sens à donner à leurs péripéties.

Outre les problèmes de morale, de théologie (!) et d'éthique soulevés dans chacun des segments, qui mettent tous en vedette un criminel en proie à une quelconque crise existentielle (un débat philosophique qui ne peut qu'être tragi-comique vu le milieu dans lequel il se déroule), le film met aussi en épingle l'art de raconter et, par extension, la valeur rédemptrice de la parole et du jeu. Dans une des scènes mémorables du film, les deux tueurs à gages qu'interprètent de façon excentrique Samuel L. Jackson et John Travolta, retardent leur entrée dans l'apartement de leurs victimes pour pousuivre une discussion amorcée plus tôt. Ce faisant, ils désamorcent l'action de la scène et désoriente le spectateur qui s'attend à une descente classique. Ce n'est qu'une fois le débat clos que les deux truands regagnent leur poste, l'un deux s'écriant: " OK, let's get back into character ". Réintégrons la peau de nos personnages. Quelques minutes plus tard, l'un d'eux connait un moment d'épiphanie lorsqu'il survit miraculeusement à une fusillade, provoquant un autre débat épique entre lui et son collègue qui n'interprète pas leur mésaventure de la même façon. Une discussion qui a des répercussions sur la vie d'un autre gangster, aperçu dans le prologue mais narrativement actif que dans la finale, alors qu'il voit son hold-up compromis par l'éloquence quasi-évangélique du gangster repentant.

Il y a donc clairement deux films à l'oeuvre ici: un film de gangster en perpétuelle déconstruction et un film à thèse que nous entretient, sourire en coin, des travers de l'âme, de l'horreur qui se cache sous le quotidien, de la loyauté, et de la difficulté d'être solidaire et responsable quand on évolue dans un univers violent qui prône le chacun pour soi. L'Amérique, quoi.

Johanne Larue


[Index] [Actualités] [Films & Sélections]
[Interviews] [Destination Cannes] [50 Festivals]


© Volute productions 1997
© Hors Champ 1997