1993
Adieu ma concubine
de Chen Kaige
(Chine)

Gros plan sur l'année 1993
Les Prix et Jurys

Éblouissement du moment.
Il arrive que l’attente fébrile d’un film nous le laisse présager plus grand que nature.
Adieu ma concubine est de ceux-là. Certes, il s’agit d’une oeuvre de qualité. La production est impeccable, la photographie des plus chatoyantes, les costumes à faire rêver et l’interprétation bien sentie. Le scénario combine aussi de façon judicieuse l’intimité du drame sentimental (à thématique gaie) et le souffle de l’épopée, le pur divertissement et le contenu pédagogique (sur l’opéra chinois). Mais force est d’admettre, un, que la dynamique entre les personnages nous laisse sur notre faim et, deux, que la mise en scène de Chen Kaige relève plus de l’illustration (à grands déploiements) que de la véritable direction cinématographique.

Sur le plan de la scénarisation donc, il est un peu frustrant de constater la timidité avec laquelle Kaige aborde la passion homosexuelle que porte Cheng, l’acteur travesti, pour son ami d’enfance et collègue, Duan. Certes, au début, on ne peut qu’être bouleversé de voir se développer l’amour de l’un pour l’autre, au sein d’un climat de violence et de privations physiques et affectives. Un contraste qui permet au cinéaste d’élaborer une critique assez virulente de la société chinoise traditionnelle. Mais Kaige sabote le potentiel affectif de son histoire lorsqu’il décide de garder Duan dans l’ignorance complète des sentiments de son compagnon. La tragédie ce n’est pas que Cheng aura gaspillé sa vie à s’éprendre d’un hétérosexuel mais que le réalisateur nous refuse toute confrontation entre les deux personnages. Cette confrontation, Keige décide de l’établir entre Duan et la maîtresse de Cheng, Juxian, qui elle n’est pas dupe. Et c’est ici que le bat blesse de nouveau puisque, outre les traits de caractère un peu caricaturaux de Juxian, qui frôlent d’ailleurs la misogynie, le personnage ne possède pas d’existence propre.

Juxian n’existe que pour créer un triangle amoureux, c’est-à-dire faire dévier le discours du film sur un terrain idéologiquement mois glissant. Quant à la mise en scène de Kaige, si l’on peut dire qu’elle est assurée, elle n’en est pas pour autant particulièrement inspirée. Des 170 minutes que durent le film, une seule scène nous sidère par sa force cinématographique: celle du procès et de l’humiliation publique de Cheng, Duan et Juxian. Acculés derrière un mur de feu allumé par de jeunes Maoïstes, les trois personnages risquent le lynchage s’ils ne se renient pas mutuellement. La séquence est tournée avec une longue focale qui aplatit la perspective, instaurant une atmosphère étouffante et donnant l’impression que les flammes lèchent déjà les prisonniers agenouillés, qui crient d’ailleurs de douleur. Ce passage s’avère d’autant plus poignant et cauchemardesque que c’est le moment que choisit le cinéaste pour nous révéler la lâcheté de Duan: il renie ses deux compagnons, provoquant ainsi le suicide de Juxian et la mort affective de Cheng... Si seulement tout le film avait été tourné avec la même invention !
Il aurait alors véritablement mérité sa palme d’or. Il faut croire que même à Cannes il est parfois difficile de distinguer les très grands films de ceux qui nous éblouissent le temps d’une projection.

Johanne Larue


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