1955
Marty

de Delbert Mann
(U.S.A.)
Zoom sur l'année 1955
Les Prix et Jurys

En plus de la Palme d’or à Cannes, Marty remporta l’oscar du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur et meilleur scénario;
les prix de l’Académie anglaise du meilleur acteur étranger et de la meilleure actrice étrangère; et les prix des critiques du New York critics circle pour le meilleur acteur et meilleur film.

En regardant Marty aujourd’hui, on peut se demander comment un film aussi simple racontant l’histoire d’un homme de 34 ans, un boucher italien-américain célibataire gagna autant de prix. Une partie de la réponse se trouve dans le contexte historique. Marty reflète de nombreux facteurs qui jouaient en sa faveur dans le début des années cinquante. En effet, Hollywood commençait sa transition d’oligarchie, vers une industrie plus ouvertes aux tendances externes (télévision, production indépendante, films étrangers). Marty est en quelque sorte un précurseur d’un cinéma d’auteur indépendant qui atteindra un point culminant quatre ans plus tard avec Shadows de Cassavetes.

Alors que la majorité des films portaient sur des sujets à spectacles (drames costumés, épiques historiques, science fiction, comédies musicales) et de nouveaux éléments techniques (CinémaScope, son stéréophonique, Technicolor), Marty choisit de raconter un histoire sur des gens ordinaires, en noir et blanc. Avant de devenir un film de cinéma, Marty fut diffusé à la télévision en 1953. Paddy Chayevski écrivit le scénario pour la télévision, Albert Man le dirigea, et Rob Steiger interpréta le personnage de Marty. Ceci fut la première de nombreux téléfilms ensuite adaptés pour le cinéma et le premier film à réussir une collaboration avec la télévision au lieu de l'ignorer ou de la traiter en ennemi. Son succès rendit évident le potentiel de co-dépendance entre les deux médiums (comme le sont aujourd’hui le cinéma et la vidéo). Ainsi, plus de soixante réalisateurs, à l’instar de Delbert Mann, sont issues de la télévision, tels Arthur Penn, Sam Peckinpa, Sidney Lumet, Robert Mulligan and John Frankenheimer.

Marty est l’histoire d’un groupe de célibataires Italiens (Marty, Angie, Ralph, Joe) dans la trentaine. Marty le personnage principal, vie avec sa mère, une femme bien intentionnée, mais dominante. La scène d’ouverture nous montre Marty derrière son comptoir de boucher, pratiquement harcelé de questions par une hordes de vielles femmes qui veulent des détails sur son projet de mariage. Marty est trop doux pour leur dire vraiment ce qu’il pense, mais il ne peut cacher ses sentiments et l'exaspération se lit sur son visage. Ensuite, lorsque sa mère le pousse à aller danser, Marty ne peut s’empêcher de répondre : «Je suis gros, petit,...je sui laid.»
Marty part tout de même danser et rencontre un jeune femme de 29 ans dont la vie amoureuse ressemble étrangement à la sienne. Marty et Clara passe une soirée agréable. Habituellement calme, Marty est si excité cette nuit là, qu’il n’arrête pas de parler et réussit à sortir un compliment toutefois quelque peu maladroit à Clara :« Nous ne sommes pas si mal que nous la croyons». Par égoïsme, ses amis et sa mère n’approuvent pas sa relation avec Clara. Sa mère, par peur d’être négligée, se plaint que la jeune femme n’est «pas belle», «n’est pas Italienne», «trop vieille» et selon l’un des dialogues les plus drôles du film «les filles de l'université ont un pied dans la rue».

Symboliquement, Mann place cette scène sur les marches de l’église. Dans ce plan, Mann nous montre ainsi les pressions culturelles entourant Marty, la famille italienne, la responsabilité parentale et le catholicisme—qui pèse si lourd sur la tête de Marty. Le film se termine cependant sur une note d’optimisme et Marty trouve le courage de suivre ses convictions et rappelle Clara.
Il y a dans Marty une influence certaine du néo-réalisme. Le film est tourné sur place, à New York et raconte l’histoire de gens ordinaires. Nous partageons leurs vies quotidiennes et leurs petits problèmes. Avant que Clara et Marty ne se rencontrent, Mann unit leurs expériences ratées par deux plans séquences. Peu après être arrivé à la salle de danse, la caméra suit Marty alors qu’il demande à une jeune femme de danser, puis retrace le même espace après que la jeune femme ait répondu négativement. Quelques plans plus tard, Mann utilise un long plan statique où Marty est témoin du rejet de Clara par celui qui l’accompagne. Mann répète ce style de caméra à la fin du film établissant le synchronisme de leurs pensées et de leurs sentiments.

Marty est un film au grand coeur. C’est une sorte de Diner (1982) avant la lettre. Ernest Borgnine au lieu de ses rôles de vilains de From Here to Eternity (1953) et Bad Day at Black Rock (1955) donne la performance de sa vie. Les dialogues de Chayefsky capture l’essence même des personnages avec un équilibre parfait d’ironie et d’empathie; et Mann emploie une mise en scène surprenante de simplicité, mais qui rend hommage aux mots de Chayefsky.

Donato Totaro
traduit de l’anglais par
Armelle Bayou


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