1951
Mademoiselle Julie

de Alf Sjöberg
(Suède)
Zoom sur l'année 1951
Les Prix et Jurys

L’image qui ouvre Mademoiselle Julie donne immédiatement le ton au film de Sjöberg: il nous y montre un oiseau en cage, avant d’amorcer un recadrage qui capte également Julie, voilée par un rideau, observant de sa fenêtre l’action au dehors. Le parallèle entre la jeune femme et la bestiole n’est pas fortuit.
Il s’avère même prophétique, en quelque sorte, puisque le récit de Mademoiselle Julie s’attardera sur les prisons psychologiques et morales que constituent les classes et carcans sociaux, en étudiant leur impact sur la relation tordue qui prévaut entre Julie et un de ses serviteurs.
Situé en Suède en 1888, le long métrage échafaude sa structure narrative autour des folles célébrations de la fête de la Saint-Jean, l’occasion pour les villageois de s’éclater toute la nuit durant.

Ce qui frappe de prime abord avec la réalisation de Sjöberg, ce sont les cadrages, d’une précision experte et d’une complexité fascinante. A ce titre, on se souviendra du mouvement de caméra qui suit la course précipitée d’une jeune dame, qui vient de se faire rejeter par celui qu’elle aime: elle pousse énergiquement la barrière menant à une grange, alors que la caméra, au ras du sol, la saisit entre les barreaux de la lourde porte, comme pour souligner sa position d’asujettissement perpétuel. Plus tard, Julie la surprendra avec le cocher, dans une scène qui titille habilement notre pulsion de voyeur. Dans cette lignée, il est à noter que le scénario comporte nombre de passages audacieux, dont le caractère assez érotique étonne, même aujourd’hui.
Ainsi, Sjöberg exploite intelligemment la nature sadomasochiste de la relation maître/employé, tantôt avec humour (Julie faisant sauter son fiancé par-dessus le fouet avec lequel elle vient de battre son chien), tantôt avec force subversion génératrice de bouleversements dramatiques (les rôles dominant/dominé changent souvent de mains). Ce dernier aspect finit par trahir, surtout dans la deuxième moitié, l’origine théâtrale du scénario, mais il s’agit là d’une réserve bien mince, de fine bouche.

Au delà de ces évidentes qualités d’écriture, l’extraordinaire mise en scène préconisée par le cinéaste confère à Mademoiselle Julie une indéniable portée moderniste. Par moments, on croirait voir Lars Von Trier à l’oeuvre, tant la maestria des transitions spatio-temporelle impressionne, tant l’harmonieuse cohabitation du présent et du passé (et de la réalité et du rêve) est magnifiquement supportée par l’utilisation des projections frontales. On le voit ici d’emblée, l’élégance d’une caméra mouvante, surtout lorsqu’elle s’enrobe de sensualité et d’onirisme, n’est pas forcément synonyme de classicisme. Si ce n’est déjà fait, Mademoiselle Julie constitue sans hésiter une oeuvre à (re)découvrir.

Alain Dubeau


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