17 Mai 1997







L'Homme défendu
Cannes - 17 Mai 1997 - 16h15

Le nouveau film du cinéaste hong kongais Wong Kar-Wai n'est pas un film gay, ni un film argentin. Même s'il est tourné à Buenos Aires et qu'il raconte une histoire d'amour entre deux hommes.
Happy Together n'apporte rien de nouveau à l'oeuvre et au style du réalisateur. Il utilise toujours les changements de couleurs selon les scènes, un montage très vidéo-clip - avec quelques brillantes trouvailles - , une narration avant tout visuelle et une musique qui joue un rôle entier.
Le scénario ne raconte rien d'autre qu'une transition dans l'espace et dans le temps d'une relation amoureuse entre deux personnes. Ce script n'existe que par l'image qui l'interprète et parle d'elle-même, et par les acteurs qui lui apportent sa consistance. Le sujet est parfaitement maîtrisé.
Les sentiments, les dialogues ou monologues intérieurs, les doutes, les désirs, tout passe par les couleurs, les sons, le cadre. Le design, s'il ne nous étonne plus, demeure détonnant et esthétique.
Kar-wai a donc tourné ailleurs pour mieux revenir chez lui. Ce qui devait être un film classique est devenu une oeuvre bien plus puissante et attirante que celles de ses contemporains comme Besson ou Fyncher.
La photo, le mouvement, le regard: tout paraît vide, et en fait, tout montre l'essentiel.
Finalement l'Homme blessé n'a qu'"un seul espace, celui du coeur".

Par la poste
Cannes - 17 Mai 1997 - 16h45

C'est par courrier que nous avons reçu hier soir le Prix de la semaine internationale de la critique. Junk Mail symbolise à ce titre une année faste pour la production norvégienne. Ce vainqueur montre la Scandinavie comme on la voit rarement: paumés, bouffe infecte, quelques chose de désespéré. On croit que l'amour est une manière de s'échapper d'un destin sans issue, et en fait on se retrouve avec une peau de banane sous le pied: ça peut faire rire, comme ça peut faire mal.
La laideur et la banalité des personnages sont gommées par l'humanisme de ce film de Pal Sletaune. Le réalisme de cette poste - paroxysme de l'administration incompétente - rend presque l'aspect du film sinistre.
Heureusement le soleil parfois fond la glace en surface.
Le film a été présenté en ouverture, comme Le Signaleur, qui le précédait, Prix du meilleur court-métrage.

Brèves
Cannes - 17 Mai 1997 - 17h15

  • Catherine Deneuve était attendue pour le Gala en faveur de la lutte contre le SIDA, présidé par Demi Moore (700 000$).
    L'actrice n'était pourtant pas encore à Cannes. Elle devrait remettre la Palme d'Or 1997 demain soir, 10 ans après l'avoir donné à Pialat. La scène du Grand Théâtre Lumière devrait donc réunir Adjani, Moreau et Deneuve.
    Unique.
  • Le Marché du film aura couronné l'originalité de la production française. Ma vie en rose (avec Michèle Laroque) a recouvert les 2/3 de son budget - 21 millions de FF - en se vendant à 25 pays. Western et La Femme défendue, tous deux en sélection officielle, ont été achetés par 12 territoires. Miramax (E-U), un an après Ridicule, a acheté les droits de Artémisia (avec Serrault) et Dobermann (avec Vincent Cassel).
    La plus grande surprise est sans doute Marius et Jeannette qui a conquis 12 pays pour 2.5 millions de FF.
    Enfin Astérix et Obélix contre César n'a pas résisté à certains envahisseurs, alors que le film ne sera tourné qu'en 98.
  • Emily Watson, que Cannes avait révélé en 96 avec Breaking the Waves, a conclu la fin du tournage de The Boxer (avec Daniel Day Lewis) en venant le promouvoir à Cannes. La jeune actrice britannique en a profité pour présenter ses deux prochains films: Land girls de David Leland (avec Catherine McCormack - Braveheart) et Le Barbier de Sibérie de Mikhalkov (avec Julia Ormond). Elle devrait aussi être dans le casting de Firelight, le prochain film avec Sophie Marceau en vedette.
  • La fête était à son comble pour les adieux au Festival. De nombreuses personnes ont essayé de quitter Cannes ce matin, après une nuit blanche.
    La soirée la plus courue, et la moins facile d'accès, logique, était celle d'Assassin(s) de Kassovitz.
    Demain, le jury se réunit dans une villa pour délibérer, pendant que les festivaliers sont invités à voir tous les films sélectionnés qu'ils ont manqué.
  • Giuseppe De Santis, le cinéaste italien de Riz Amer (1948) et de La Garçonnière (1960) endeuille le Festival, une semaine après la mort de Marco Ferreri.

    Regardons les hommes tomber
    Cannes - 17 Mai 1997 - 18h00

    Le film de Kassovitz s'est fait assassiner par la critique (excepté Studio Magazine). La bombe du festival, en séance de presse et en conférence de presse. Certains l'expliquent comme une réaction à une sélection frustrante et déjà violente.
    D'autres n'ont vu que des scènes vides et violemment gratuites. Une minorité a compris la motivation de Mathieu Kassovitz. Enfin la plupart d'entre eux se sont ennuyés devant 2 heures 10 d'un pamphlet protestataire.
    La charge lancée par le cinéaste cible notre société, ses décideurs, et accuse précisément la Télévision.
    Celle-ci est un véritable personnage du film, habitant chaque scène, hantant chaque cerveau, hurlant sa débilité et son aliénante vacuité.
    Accusant le système, exhibant la banlieue, l'ennui, la détresse, le désespoir des jeunes dans l'impasse, d'une société d'illusions, Kasso a cependant échoué à faire passer son message.
    L'échec est explicite lorsqu'on entend les commentaires des spectateurs, perdus et enragés. Prêt à "foutre un coup de poing au réalisateur" (entendu) ou paré à descendre le film plutôt que de réfléchir au message (lu). Pourtant il y a une vraie essence derrière cette overdose de violence surexposée. La forme du film repose sur un véritable langage, une manière d'exprimer une analyse (maladroite), composée d'images et de dialogues.
    Quelques scènes sont chocs sans choquer: le premier assassinat de Mehdi, Serrault seul dans son appartement, la description des armes.
    D'autres sont moins inspirées: la destruction de la béaime, par exemple.
    Nous voici face à l'horreur vomissante de notre société, de ce qu'elle fait de nous, de la responsabilité de ses absurdités. Il aurait d'ailleurs été intéressant de montrer la déresponsabilisation des parents. Mais ici tout n'est que solitude. Ni racines, ni attaches, et des familles brisées. Seul, humilié, dévalorisé, l'être humain n'a aucun but, aucun repère, il erre dans un néant où il s'abrutit d'opiums et de jeux.
    Le prix d'une vie est celui d'un contrat pour l'achever. Les meurtres sont froids.
    Si au départ la surprise d'Assassin(s), si différent de La Haine, crée le choc, les images n'ont rien à envier à d'autres films (Tueurs nés, C'est arrivé près de chez vous, Funny Games). La TV est le catalyseur cathodique de la violence, la véritable cause.
    Mais à cause d'un scénario trop plat, d'un montage trop lent, et d'une interprétation copier-coller d'Un héros très discret de la part de Mathieu Kassovitz, la violence se mange froide, totalement banalisée, imprégnant nos esprits. Il y a beaucoup de bruit dans ce film, comme pour provoquer le rejet.
    Agressif, visant juste, mais pas assez rigoureux, Assassin(s) aurait fait un excellent ....moyen-métrage.

    A la veille d'un beau lendemain
    Cannes - 17 Mai 1997 - 18h30

    Le Prix de la Critique internationale vient d'être remis au cinéaste canadien Atom Egoyan, pour The Sweet Hereafter.
    La FIPRESCI a récompensé ce très beau film pour "la complexité de sa vision et la richesse de sa sensibilité".
    Pour la sélection hors-compétition, le Portugal a été à l'honneur avec Voyage au bout du monde du vétéran Manoel de Oliveira. Il s'agit du dernier film tourné par Marcello Mastroianni. Le prix a été justifié pour la maturité de sa réflexion sur la société et la continuité de son style.
    Secrets and Lies (1996), Sex lies and Videotapes (1989), Paris Texas (1984), Yol (82), et Apocalypse Now (1979b), sont les Palmes d'or récentes ayant reçu le Prix de la Critique. Généralement le film se retrouve au palmarès. A noter que Egoyan avait déjà reçu ce prix en 94 pour Exotica.

    V.C. Thomas



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